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Les poissons dans l’eau

Cela y est, nous y sommes. Les vacances d’été.

Même la plus grande crise sanitaire depuis mille ans n’avait pas fait varier d’un pouce nos habitudes estivales, 2023 ne fera donc pas exception : la planète continuera de tourner sur elle-même cet été mais nous Français la regarderont tourner, perchés que nous serons sur une montagne, allongés dans notre hamac ou chantant les Lacs du Connemara en observant la boule à facettes elle-même en train de tourner. J’en ai le tournis.

Beaucoup d’entre nous seront en bord de mer. Avec un peu de chance, si le ciel est sans nuages, observerons-nous à l’horizon la courbure presque imperceptible de notre planète. Le téléphone, coincé entre la serviette, la crème solaire et les promesses d’une lecture éveillée chez Marie Claire ou GQ, sonnera soudainement beaucoup moins. Nous aurons désactivé les notifications, le petit oiseau bleu cessera son chant incessant. Teams aura plié bagages. Nos équipes, clients et partenaires de tous types auront disparu pour quelques jours, peut-être pour aller s’asseoir sur la serviette à côté de la nôtre. Nos projets d’IA, de robotisation ou de recrutement s’effaceront au fur et à mesure que des questions beaucoup plus importantes reprendront une place essentielle : « Que dînera-t-on ce soir ?».

Seule la famille et nos amis mériteront notre attention.

Le parasol aura été planté. A l’ombre mais au chaud, entouré de cris juvéniles, lunettes sur le nez, au repos, le temps ralentira. Vous lèverez le nez de temps à autre de votre journal observant autour de vous. Si vous êtes du beau sexe, cette femme qui passe devant vous, belle et jeune, vous rappellera malgré elle que vous aussi attiriez davantage le regard des hommes. Ils continuent de vous regarder les hommes, mais vous voyez bien que leur regard a changé. Ils ont vieilli avec vous. Fichu temps qui passe. (Si vous êtes jeunes et que vous me lisez, filez lire Ronsard. Il y est question de roses et de cueillette. C’est très nature, cela devrait vous plaire). Et puis vous aussi vous posez un regard nouveau sur les hommes. Vous jetterez alors aussi par réflexe un œil vif sur votre maillot en secouant de la main les quelques grains de sable qui s’y seront nichés. Voilà, c’est mieux. Et vous repartirez dans vos pensées. Quand le temps ralentit, on se regarde davantage et on regarde davantage les autres. Quand le temps ralentit, on a le temps. On a le temps de le perdre ce temps. C’est bon. C’est bon comme les vacances.

Puis votre regard se portera de nouveau vers le grand bleu de l’océan en face de vous.

L’océan, il en était question il y a quelques jours au Parlement Européen.

Si comme moi vous êtes reliés à LinkedIn en continu, vous n’avez pas pu échapper aux messages de Claire Nouvian nous enjoignant tous à soutenir le projet de « Loi pour la Restauration de la Nature ». L’UE souhaite mettre en place des mesures de restauration de la nature sur au moins 20 % de son territoire terrestre et marin d’ici à 2030. Et sur toutes les zones nécessitant des améliorations d’ici à 2050.

Rien qu’à son intitulé, qui aurait pu voter contre un tel texte ? Et bien environ la moitié des parlementaires européens. Un peu moins pour être précis puisque le texte est passé après plusieurs amendements dont Mme Nouvian et ses soutiens se seraient bien passés. A lire les Echos sur le sujet, le journal économique avait choisi son camp, celui de la planète. Il est ici : Le Parlement européen sauve un texte clé du Pacte vert mais dilue son ambition | Les Echos

Le PPE, principal parti de droite au Parlement, emmené par Manfred Weber, s’est quant à lui opposé au texte en mettant en avant plusieurs risques. La restriction des aires de pêche et de culture agricole conduirait à l’appauvrissement de nos pêcheurs et de nos agriculteurs. Ces restrictions nécessiteraient de facto d’acheter davantage à l’étranger les mêmes produits, contribuant à notre appauvrissement en même temps qu’à l’enrichissement de nos partenaires. Cet accroissement des achats hors UE accroîtrait par ailleurs notre dépendance alimentaire. Et enfin, ces exploitations dans des zones hors UE conduiraient à dégrader l’environnement dans des zones où le cadre réglementaire est déjà moins strict qu’en Europe. En d’autres termes, à vouloir protéger et restaurer l’environnement ici, au sein de l’UE, nous le dégraderions là-bas, hors UE. Le Figaro semblait davantage du côté du PPE dans l’article qui prenait toute une page dans ses colonnes du 13 juillet.

La droite et le Figaro sont-ils à ce point aveugles pour ne pas vouloir réparer ce que nous avons saccagé avec nos parents et grands-parents?

Les verts et les Echos sont-ils à ce point aveugles pour ne pas mesurer les conséquences sociales d’un texte qui organise notre appauvrissement et notre dépendance accrue à l’échelle du continent ?

Pour ou contre la sauvegarde de l’océan, celui-là même que vous regarderez dans quelques jours ? Pour ou contre la protection de la biodiversité ? Pour ou contre la décroissance de l’agriculture et de la pêche en Europe ? Pour ou contre la décroissance tout court, l’appauvrissement de chacun d’entre nous, les drames sociaux qui s’en suivront et la violence qu’ils apporteront avec eux ? Comme si c’était si simple. Cela ne l’est pas.

Vous, qu’auriez-vous voté ?

Pour certains d’entre vous, la réponse fusera. Je vous envie : j’aurais beaucoup hésité. L’amoureux de la nature que je suis aurait penché vers le vote de Mme Nouvian. Je suis par ailleurs convaincu que les restrictions économiques que nous nous imposons de plus en plus conduiront inévitablement à plus ou moins longue échéance à notre appauvrissement et aux violences sociales qui lui sont attachées. Je suis un homme de paix. Cet homme aurait penché vers le vote de M. Weber.

Au fond, j’aurais voulu un autre texte et deux ou trois choses à côté pour me positionner.

La nature vaut que l’on se batte pour elle tant elle a souffert de notre désinvolture. La production de richesse vaut que l’on se batte pour elle pour que nous puissions tous manger à notre faim. Ces sujets d’environnement, de développement économique et de paix sociale conjugués sont devenus si compliqués à marier qu’ils nécessitent d’être pris simultanément pour tenter d’apporter une réponse intelligible et acceptable par tous. C’est précisément ce que je n’ai pas vu dans le projet de texte. Il aurait fallu que dans les mêmes lignes soient discutées restauration de la nature, protection de notre appareil productif, emploi et souveraineté alimentaire. Et il aurait fallu que quelques soient les dispositions discutées, elles aient été évaluées a priori. Les consultants et les cabinets ministériels entre autres sont faits pour cela, pardon ici de faire un peu la publicité d’un métier que nous connaissons bien chez BlueBirds.

Derrière cette bataille politique et idéologique, j’ai donc perçu deux absences : un périmètre de dispositions qui aurait dû être étendu bien au-delà de la protection et de la restauration de la nature et des scenarii d’évaluation. Un peu comme le fait le GIEC pour le climat. Peut-être alors nos parlementaires et les media qui les soutiennent seraient-ils sortis d’un discours certes audible de part et d’autre mais toujours idéologique, pour s’arrêter sur les conséquences chiffrées dudit texte. Peut-être auraient-ils pu discuter plus calmement. Soyons fous, peut-être auraient-ils trouvé un compromis et seraient-ils tombés d’accord. On peut rêver, les vacances sont aussi faites pour cela.

Il faut revoir la manière avec laquelle nos lois sont écrites et évaluées, sans quoi ces votes ne feront que nous diviser. Or en matière de division, nous sommes déjà fortiches. Et les oppositions environnement contre paix sociale et développement économique vont devenir courantes à l’image des heurts particulièrement violents occasionnés par les projets de bassines. La liste d’exemples récents est croissante. Je vous l’épargne, j’aimerais que vous partiez en vacances le cœur un peu léger. Bref, pour le dire autrement, il n’y a pas seulement que notre industrie qui doit se verdir et nos modes de consommations s’adapter au nouveau monde qui arrive, nos institutions aussi devront se réinventer. En ont-elles seulement conscience ?

Je m’en vais loin avec ma famille cet été. Mes enfants découvriront un nouveau pays, une nouvelle culture, une nouvelle religion. Ils rencontreront des éléphants, des singes et tout une faune que seule la jungle peut offrir. Avec un peu de chance croiseront-ils quelques serpents et araignées. Une chose est certaine, des milliers d’insectes tenteront de s’en faire des amis.

Nous prendrons l’avion pour aller là-bas et en revenir. Comment ne pas se demander aujourd’hui si tout cela est vraiment raisonnable sur le plan environnemental ? Avec toutes ces découvertes, mes enfants prendront un peu plus conscience de la diversité du monde. Ils reviendront plus ouverts à l’autre, celui qui pense et agit différemment d’eux. Ils comprendront que l’on peut vivre avec peu et être heureux. Ils auront rencontré quelques joyaux que la nature aura bien voulu leur dévoiler.

Plus que jamais, ils se diront que ce monde est beau. Qu’il mérite que l’on se batte pour lui. Je crois que nous avons raison leur mère et moi d’organiser ce voyage.

Bonnes vacances,

Martin