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Elena Deykina, quête d’équilibre

Basée en Alsace, la manageuse de transition et spécialiste de l’industrie, praticienne de la méthode Lean, l’école managériale de l’excellence opérationnelle. 

Elena Deykina vient d’un pays qui n’existe plus. Née en URSS en 1982, elle porte en elle le souvenir d’une histoire et d’une culture différente, à la fois proche et lointaine. “J’ai goûté mon premier yaourt à 12 ans. C’est étrange de s’en souvenir, non ?” remarque la femme de 41 ans, à la voix forte et à l’accent rond. Car l’enfance soviétique d’Elena l’a profondément marquée. Dans sa façon de se confronter à l’adversité et dans sa façon d’aborder un problème. Nécessairement sa psyché professionnelle est mâtinée d’une forme de courage et d’honnêteté parfois désarmante et dont elle n’est pas tout à fait conscience.

Formée comme ingénieure dans le numérique et les mathématiques appliquées à Moscou, Elena Deykina a 20 ans quand elle décroche une bourse pour étudier en France, à Centrale Paris, en 2003. Sauf qu’elle ne parle pas un traître mot de la langue de Molière. Alors elle étudie. Pendant huit mois et les trois heures de bus (sans chauffage par -15°C) qu’elle fait quotidiennement pour se rendre à l’université, elle apprend la grammaire, la conjugaison, l’orthographe. Suffisamment pour avoir une bonne base, mais très loin du niveau attendu dans une école d’ingénieurs. “J’avais tout anticipé sauf l’accent. Je ne comprenais rien en cours. Pour moi qui avais toujours été la meilleure en tout… Ma première année à Paris, j’étais l’une des plus mauvaises étudiantes. J’ai dû mettre en place une stratégie qui consistait à volontairement abandonner certaines matières pour pouvoir me consacrer à la langue. J’ai participé aux projets scientifiques pour les professeurs pour remonter mes notes.” Aujourd’hui, sa maîtrise du subjonctif ferait pâlir de jalousie bien des instituteurs.

Le goût de la vie

Elena goûte aussi pour la première fois à une vie plus prospère où chacun a le droit de profiter et d’avoir des loisirs. Son entourage ne la regarde plus d’un œil sévère si elle fait des choses pour elle et non pour un bien collectif. Elle tombe aussi amoureuse, ce qui joue dans sa décision de venir s’installer en France définitivement. Elle décroche en 2006 un financement pour sa thèse au laboratoire acoustique de Centrale. Mais au bout d’un an, celui qui deviendra le père de sa fille lui propose de s’installer en Alsace.

“J’ai commencé à postuler dans l’industrie parce que je voulais apprendre le management, quelque chose qui ne se pratiquait pas du tout en Russie et aussi, parce que c’est un milieu qui bouge, avec des gens ambitieux et des applications très concrètes.” Elle a 26 ans et fait une entrée fracassante dans le monde professionnel chez Vossloh, leader mondial de l’infrastructure ferroviaire. On lui demande de créer un indicateur de productivité. Elle fait le tour des interlocuteurs et crée une formule mathématique (une broutille pour elle) pour prendre en compte les problématiques de chacun. Le tout en six mois. “La direction était ravie. En un an, je me suis retrouvée à piloter 20 projets et encadrer 4 personnes mais avec le recul, je pense que j’aurais agi différemment.” Car son outil statistique, ultra-performant, produit de la donnée mais n’apporte pas de valeur ajoutée aux opérationnels sur le terrain. Qu’à cela ne tienne, l’efficacité d’Elena lui permet de grimper les échelons et dès 2014, elle est membre du Codir.

Apprendre en faisant

Cette période correspond aussi à une profonde remise en question. A ce moment-là, Elena mène une vie de dingue. En pleine séparation, elle continue d’allaiter, se forme pendant deux ans à l’Icam de Strasbourg en pour décrocher une “Black Belt” en Lean Management, devient Responsable Lean région et remet “l’humain” au centre de sa vie. “A l’époque, l’entreprise était dans une période de transition. En grande autonomie, je travaillais avec un cabinet de consultants sur un programme de transformation globale de l’entreprise sur plusieurs sites en France et en Europe. À travers ce travail, j’ai beaucoup appris par la méthode “essai– erreur – ajustement”. J’ai compris la valeur de l’action coordonnée et collective, moi qui avait l’habitude de travailler seule. J’ai appris à faire confiance aux autres, à assumer les victoires et les échecs, à me montrer humble. J’ai aussi appris à manager et à piloter différemment. Ce qui est surprenant, c’est que cela a même eu un impact dans ma vie personnelle où j’ai trouvé plus d’équilibre.” Mais la direction n’est pas convaincue par cette nouvelle approche. Certaine de ses choix, Elena décide alors de regarder ailleurs.

Chassée, elle atterrit chez un poids lourds de l’automobile, puis dans une PME en pleine restructuration. Mais les méthodes plus efficaces qu’efficientes, basées sur des résultats tangibles avec une pression énorme, ne lui conviennent guère. On lui demande des résultats quantifiables, très vite et sans moyens adéquats. “J’aurais pu me contenter de faire du chiffre et donc de la casse. Mais c’était impossible à mes yeux.” Pour faire ce qu’on attend d’elle, tout en respectant son éthique, elle s’use. Beaucoup.

Alors lui revient en tête une idée qui la turlupine depuis un moment : pourquoi ne pas se mettre à son compte ? Une décision lourde pour la désormais mère célibataire. Mais elle se lance dans la continuité de sa quête d’un nouvel équilibre en mettant en œuvre les principes du Lean, une méthode qui a changé sa vie, qui l’a fait grandir aussi bien professionnellement que personnellement : “La performance, c’est comme un corps en mouvement. Quand un muscle se contracte, il gagne en force et en rapidité dans son action. Mais si on ne pense qu’à la force, on perd en souplesse. Il faut donc contrebalancer par les étirements. Pour résumer, le défi de l’équilibre est de choisir le bon rapport entre la force et la souplesse, le rapport dont on saura assumer le choix en toute circonstance.” Forte de cet adage, elle accompagne donc désormais, comme consultante et manageuse de transition les entreprises qui souhaitent mettre en place cette démarche ou qui ont besoin d’un renfort temporaire.

Déborah Coeffier