Nous confier une mission
Rejoindre la communauté

Fin de mois difficile contre fin du monde, parfois il va falloir choisir

Le MEDEF fêtait notre retour au travail il y a quelques semaines en s’affichant avec un nouveau président. C’est pourtant l’ancien que j’ai remarqué quand il a partagé la lettre du pape envoyée aux chefs d’entreprises à l’occasion de la REF 2023« Le premier capital de votre entreprise, c’est vous: votre coeur, votre conscience, vos vertus, votre volonté de vivre, votre justice » nous dit le successeur de Pierre. Le communiqué de Geoffroy de Roux de Bezieux ainsi que la lettre complète du pape sont ici. 

Il fallait une forme de courage pour solliciter le chef de l’Eglise et lui demander de s’adresser à une population qui dans sa majorité porte sur lui un regard au mieux distant. Mais c’est la beauté des hommes de religion quand ils sont raisonnables: ils arrivent souvent à embarquer le plus grand nombre. Il suffisait d’écouter les plateaux TV de tous bords regarder François entouré à Marseille des représentants de la plupart des religions pour s’en convaincre. 

Reconnaissons aussi qu’il est parfois plus facile de se placer au-dessus de la mêlée sans avoir à prendre des décisions qui, elles, fâchent nécessairement une partie de la population. C’est tout particulièrement vrai en matière d’immigration, objet de la visite du pape en France. Il faudra un jour que nous parlions d’immigration dans ces lignes. Ils sont en effet de plus en plus nombreux les chefs d’entreprise à se positionner sur le sujet. On ne peut pas, on ne peut plus, – a-t-on jamais pu ? – parler d’économie et de talents sans parler d’immigration. Le sujet est délicat et clivant, alors je prends mon temps.

Il est un autre sujet en train de devenir de plus en plus clivant et pourtant au cœur de nos entreprises: l’état de santé de notre planète. C’est ce qui m’a amené à rencontrer Fabrice Bonnifet, Directeur Développement Durable du Groupe Bouygues et Président du Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D), association regroupant plus de 300 de ses pairs. Le C3D donne le pouls des réflexions et des initiatives de développement durable des entreprises en France. Il faut les écouter.

Fabrice encourage les entreprises à minimiser leur impact environnemental jusqu’à devenir sans externalité négative. Elles deviendraient alors « contributives » selon ses mots. Ce que j’aime beaucoup avec cet homme venu me serrer la main pendant qu’il tenait son vélo pliable de l’autre, c’est qu’il joint la parole, l’écrit et les actes. Pour la parole, je vous invite à aller écouter notre entretien sur Accueil • Histoires d’entreprises (histoiresentreprises.com) . Pour l’écrit, lisez son ouvrage « L’Entreprise contributive », vous apprendrez beaucoup de choses sur la manière de rendre votre activité durable. Pour les actes, vous vous laisserez convaincre sans difficulté que Bouygues fait déjà beaucoup en allant ici. Fabrice le reconnaît bien volontiers : Bouygues n’est pas encore une entreprise contributive. Au moins en a-t-elle pris le chemin. 

Et la vôtre d’entreprise, que fait-elle vraiment en plus de remplir de jolis tableaux pour se conformer à la CSRD?

Fabrice et moi nous rejoignons sur beaucoup de choses : l’état alarmant de notre environnement, ses causes anthropologiques, l’absolue nécessité pour nous tous d’agir sans attendre en commençant par revoir nos modes de consommation, le rôle central que les entreprises doivent jouer. La méthode qu’il partage dans son ouvrage pour tendre vers l’entreprise contributive me plaît beaucoup. Elle est concrète, pas de blabla. Allez-y. Accessoirement, BlueBirds peut vous y aider.

Le scientifique de formation que je suis a cependant encore beaucoup de mal à se convaincre qu’une entreprise peut être rigoureusement sans externalité négative. Est-il vraiment possible par exemple d’afficher un bilan carbone nul ? Il faudrait pour cela que nous ne consommions plus une goutte de pétrole, plus une seule molécule de gaz, plus un seul gramme de charbon ou que nous les compensions. Quand bien même nous nous appliquerions une telle méthode pour la production des biens et services sur notre sol – ce qui est matériellement impossible aujourd’hui -, nous continuerions d’émettre du CO2 en masse. La moitié environ des émissions de C02 de la France viennent du scope 3, c’est-à-dire du CO2 émis pour la fabrication de ce que nous importons. Celles et ceux un peu au fait du sujet le savent : notre bilan carbone sera nul quand l’Inde et la Chine cesseront d’exploiter du charbon et d’acheter du gaz russe. Ou bien quand nous produirons sur notre sol tout ce que nous consommons. Il va falloir attendre encore un peu malgré nos initiatives en matière de réindustrialisation. 

L’environnement se heurte aussi à nos réalités sociales, c’est ce qui me préoccupe le plus.

L’immobilier en est un des exemples. La plus grande crise immobilière de ces 30 dernières années a démarré sur fond de hausse des taux directeurs renouvelée par la BCE il y a quelques jours. Les ventes de maisons individuelles hors lotissements ont décru de 27% en huit mois (source : FFB). Les mises en chantiers décroissent également (-23% sur un an) en même temps que les demandes de permis de construire. 

Mais la BCE n’est pas seule responsable de l’effondrement du marché immobilier. S’agissant du segment locatif, il faut vivre sur une île déserte coupée d’internet pour ne pas savoir que notre réglementation nationale empêche désormais les appartements les moins bien isolés thermiquement d’être loués. En raréfiant l’offre, les prix à la location s’élèvent, pardon pour ce rappel basique. En capant par ailleurs les prix à la hausse par d’autres réglementations, locales celles-ci, l’offre diminue davantage encore. Le petit investisseur dans l’immobilier que je suis a abandonné toute velléité d’investissement locatif pour longtemps : insécurité réglementaire, insécurité fiscale, insécurité de propriété, rendements faibles ou nuls si l’on s’adresse à son banquier. Qui pâtit le plus de cette situation en plus des professionnels du secteur? Les foyers les plus modestes. Non contents de ne pas pouvoir devenir propriétaires, ils ne pourront bientôt plus se loger faute d’offre locative, même dans un logement social dont la demande ne fait que croître depuis 20 ans. Ils étaient 1 million à attendre un logement HLM il y a vingt ans. Ils étaient 2,4 millions fin 2022. (source : fr.statista.com). 

La prise en compte de critères environnementaux peut être source d’appauvrissement pour celles et ceux qui sont déjà parmi les plus modestes d’entre nous. S’agissant de l’immobilier, elle l’est devenue, c’est ce que tentent sommairement de démontrer les lignes ci-dessus. Et ce qui est vrai en matière d’immobilier l’est également sur d’autres marchés. Je pense en particulier à l’achat de véhicules neufs ou à la consommation de carburants. Il y en a d’autres encore. Sommes-nous bien conscients que pour un motif louable, le sauvetage de la planète, nous sommes en train d’appauvrir un peu plus celles et ceux ayant déjà du mal à aller jusqu’à la fin du mois ?

Il n’y a pas de « planète B » et tous les raisonnements comparables à celui que je tiens plus haut sont battus en brèche par celles et ceux qui veulent faire de la planète leur absolue priorité. Le vrai clivage est là. 

Je dînais récemment avec un vieil ami chef d’entreprise. Il était autant en colère que Fabrice l’est dans notre entretien. La discussion fut compliquée. Nous partagions le constat et ses causes. Nous partagions moins les solutions à mettre en œuvre. Pour cet ami, il fallait sortir des énergies fossiles le plus vite possible et tous les moyens seraient bons : taxation accrue des produits pétroliers, arrêt des chèques énergie, arrêt du chauffage au gaz, règlementation limitant les vols en avion. Lui ne prendra l’avion la prochaine fois que pour se rendre en Australie lors de la prochaine coupe du monde de rugby dans 4 ans. Il propose d’inverser le barème de l’IR en diminuant le nombre de parts totales avec l’augmentation du nombre d’enfants le ménage. Et j’en passe. J’avais beau tenter de chercher avec lui une formule vers une société plus équilibrée sur les plans social, économique et environnemental, je voyais bien que je parlais dans le vide. Deux visions du développement durable s’affrontaient. L’une, faisant de la planète la priorité absolue. L’autre tentant de trouver une nouvelle forme d’équilibre dont je me demande souvent si elle existe.

Tant pis, nous ne serons pas d’accord. Nous ne mettrons probablement pas le même billet dans l’enveloppe derrière l’isoloir lors des prochaines élections. Mais tous deux nous essaierons de faire de notre entreprise une entreprise contributive. 

Et nous irons boire une bière ou deux pour en rediscuter. 

Martin