Nous confier une mission
Rejoindre la communauté

Edito Novembre 2021 : It’s the economy, stupid !

Il y a dans cette apostrophe un petit air que Brassens aurait aimé. Elle date de 1992 et est de James Carville, tête pensante de la campagne de Bill Clinton contre George W. Bush. Elle eut pour objectif d’orienter les débats de l’élection américaine sur l’économie, et plus particulièrement l’emploi. On connaît la suite : Clinton restera 8 ans à la Maison Blanche.

L’Amérique n’est pas la France et Bill Clinton n’est pas Eric Zemmour ou Anne Hidalgo. Hormis Nicolas Sarkozy qui nous convainquit que l’on pouvait gagner plus en travaillant plus, aucun autre Président depuis 2000, et même avant avec Jacques Chirac et François Mitterrand, ne fit campagne sur le thème de l’économie. Nous savions qu’avec l’actuel chef de l’Etat ancien banquier d’affaires l’économie reprendrait une plus grande place, mais le candidat se garda de trop la mettre en avant. L’économie ne serait donc pas un critère clé pour la majorité des Français quand il s’agit de voter. Une rose, des pommes, la fracture sociale, le changement ou la marche embarquent davantage les électeurs.

Et puis parler d’économie est ennuyeux. Déjà entre amis au restaurant on en vient vite à demander la recette de ce qui se trouve dans notre assiette plutôt que la vision de l’économie française par Arnaud Montebourg ou Valérie Pécresse. A l’écran, même le regard goguenard de François Lenglet peine à nous maintenir éveillé.

Et pourtant.

Pourtant il va bien falloir traiter nos problèmes structurels économiques.

Dans le classement mondial du PIB, la France a été dépassée par le Royaume-Uni et arrive maintenant au 6ème rang. Cela se sait moins, nous sommes placés au 29ème rang mondial en termes de PIB par habitant. En 20 ans, des pays comme Israël, la Nouvelle Zélande et l’Australie nous ont dépassés. L’écart s’est particulièrement creusé avec l’Irlande, la Belgique, la Suède, les Pays-Bas, l’Autriche, la Finlande, l’Allemagne, le Canada ou encore Singapour qui étaient tous déjà devant nous. (source : U.S. Data and Statistics | USAGov). En un mot, notre position relative décroît.

La croissance du PIB français ne fait que baisser depuis plusieurs décennies. Entre 2010 et 2019, le PIB a crû en moyenne annuellement de 1,38%. La décennie précédente, entre 2000 et 2009, cette même moyenne fut de 1,46%. Remontez de 10 ans encore, la moyenne fut de 2,02%. Elle fut de 2,35% entre 1980 et 1989 (source : Insee – Institut national de la statistique et des études économiques). Et ainsi de suite si vous remontez jusque dans les années 60. Tout cela n’augure rien de bon pour nos enfants et encore moins pour leurs propres enfants.

Loin de moi l’ambition de vous dresser un diagnostic complet de notre économie et de ses principales faiblesses et encore moins de vous proposer quelques recettes pour y remédier, il y a tout de même 40 candidats en course pour cela. Rappelons en premier lieu que l’économie française a de nombreux atouts pour elle, je pense notamment au slip français (pas seulement à lui rassurez-vous). Mais voici cinq grands déficits qui mériteraient que l’on s’attelle vraiment à la tâche :

  1. Déficit commercial, déficit de compétitivité et désindustrialisation
  2. Déficit public et dette
  3. Déficit de souveraineté
  4. Déficit idéologique
  5. Déficit d’emploi

Déficit commercial, déficit de compétitivité et désindustrialisation

Les trois maux sont liés. La France était exportatrice nette jusqu’au premier choc pétrolier. Elle est devenue importatrice nette depuis. Maintenant que le Royaume-Uni a quitté l’UE, notre balance commerciale est la plus négative au sein de l’UE. Vous avez bien lu, nous sommes derniers. Nous achetons en particulier davantage à l’import, faute d’une production de moins en moins nationale: la part de l’industrie dans le PIB est passée de 22% en 1970 à 12% aujourd’hui. L’Italie est à 19%, l’Allemagne à 25%.

Déficit public et dette

2008 et 2020 sont passés par là. La dette publique de la France dépasse désormais 2600 Md€, soit 122% du PIB contre 75% par exemple en Allemagne. Elle était de 1300 Md€ avant 2008 et représentait alors 65% du PIB. En deux crises et 13 ans, la dette française a doublé.

Nous pourrions nous enorgueillir de prélèvements fiscaux modestes que la dette compenserait pour arriver à équilibrer dépenses et ressources de l’Etat, des collectivités et de la Sécurité Sociale. Ce n’est pas le cas : nous cumulons dettes et records de fiscalité. Le poids des prélèvements obligatoires est passé de 30% de PIB en 1960 à 45% aujourd’hui. Dans les données de la Banque Mondiale qui classe environ 150 pays selon ce même critère, nous arrivons 6ème … en commençant par la fin. (source : Dépenses (% du PIB) | Data (banquemondiale.org))

On ne le répétera jamais assez, ces prélèvements diminuent le pouvoir d’achat des ménages et grèvent les marges des entreprises. La dette publique ampute les capacités d’investissement et d’augmentation des salaires des fonctionnaires par l’Etat. Elle soustrait aux générations qui nous suivent leurs propres choix de société. Vous l’aurez compris, il y a là un égoïsme collectif de notre génération que j’ai du mal à accepter.

Avec le télétravail, la compétition des talents ira en augmentant et l’intercomparaison de la fiscalité du travail conduira les travailleurs à choisir les pays où leur activité sera moins imposée. Nous perdrons les ressources mobiles si nous ne nous alignons pas un minimum avec la moyenne mondiale, cela inclut évidemment les cols blancs. A notre petit niveau chez BlueBirds, je l’observe chez les indépendants membres de la communauté que j’anime.

Pour que les ménages retrouvent du pouvoir d’achat, pour que nos entreprises retrouvent des marges de manœuvre et pour que nos enfants soient maîtres de leur destin et ne paient pas seulement les factures des générations qui les ont précédées, il y a un chemin : la réduction de la dépense publique.

Déficit de souveraineté

La France perd ou a perdu la main dans de nombreux domaines. Nous sommes devenus dépendants des GAFAM, nos propres fonds d’investissement privés sont insuffisants pour accompagner nos belles licornes ou scale-up – nous en perdons parfois donc la gouvernance relative ou totale, nous avons perdu récemment notre souveraineté alimentaire en devenant importateur net hors vins et spiritueux (source Sénat) , nous dépendons des approvisionnements et des prix des ressources fossiles, nous subissons les lois extraterritoriales américaines : demandez à Frederic Pierucci, ex Alstom, ce qu’il en pense. Enfin, les difficultés actuelles d’approvisionnement de produits venus de Chine montrent à quel point nous sommes devenus dépendants de la seconde puissance économique mondiale. Avec 40Md€, la Chine représente à elle seule près de la moitié de notre déficit commercial. Nous y achetons tout ou presque.

Dans un monde interconnecté comme le nôtre, croire à l’indépendance tous azimuts comme le rêvait de Gaulle et le rêvent encore certains, c’est mal comprendre notre temps. Il faut par exemple se féliciter de l’émergence de certaines licornes financées par nos voisins. Elles créeront entre autres les emplois de demain. Mais ne pas choisir les domaines dans lesquels le pays doit rester relativement autonome relève d’une forme d’aveuglement collectif. Il faut donc regarder positivement certaines initiatives – pas toutes – qui vont en ce sens. J’aime bien par exemple « Bleu » commune à Orange et Capgemini dans le Cloud. Reste à savoir si les clients seront prêts à payer une prime à la souveraineté tout en se protégeant contre le Cloud Act face notamment à AWS. L’avenir nous le dira.

Déficit idéologique

Nous autres Français, nous ne nous sommes jamais vraiment accommodés de l’économie de marché telle qu’elle s’est forgée au cours du siècle dernier. Peut-être parce qu’un petit nombre, les actionnaires, disposent plus facilement d’un accès à la richesse. Peut-être parce qu’il faut bien à un moment la redistribuer cette richesse et qu’il y en aura toujours pour se plaindre que « l’un a trop reçu et l’autre pas assez » laissant ainsi penser, à tort ou à raison, que les uns profitent des autres. La pensée de Marx est toujours un peu présente dans l’inconscient collectif français. Nous sommes comme cela nous les Français, nous n’aimons pas parler d’argent. Dès lors, comment parler de la meilleure manière d’en créer ?

Et puis ils sont rares nos hommes et femmes politiques venus de la société civile ayant été confrontés à un compte de résultat et à devoir rendre des comptes à celles et ceux qui leur ont confié la gestion d’une société. Au moment où une nouvelle forme de capitalisme est en train d’émerger, où l’environnement remet en question la notion même de croissance, les mécanismes de création de richesse doivent être bien mieux maîtrisés par l’ensemble de nos concitoyens et nos politiques pour mieux définir ce futur en devenir.

Déficit d’emploi

L’argent ne fait pas le bonheur, c’est bien connu. Nous pourrions finalement nous contenter de devenir une puissance économique moyenne au rayonnement mondial comme le disait Hubert Védrine et laisser la situation telle qu’elle est. Que risquerions-nous vraiment ? Que le déficit commercial continue de grandir ? Et alors, ce ne sont que des chiffres tout cela. Que la dette continue d’enfler ? Et alors, nous ne la rembourserons jamais ! D’être un peu plus dépendants chaque jour des Etats-Unis ou de la Chine ? Et alors, c’est déjà mes enfants qui décident de tout à la maison !

Mais tous les déficits que j’évoque plus haut s’accompagnent d’un chômage de masse historique que ne connaissent plus de nombreux pays développés. Nous avons abandonné ce combat depuis bien longtemps. Il y a en France 3,3 millions de personnes sans emploi. 2,3 millions d’autres hommes et femmes présentent une activité réduite.  ( source : Demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi au 3e trimestre 2021 | DARES (travail-emploi.gouv.fr)).

Pardon de rappeler cette évidence, mais le chômage est l’un de nos tous premiers drames sociaux. Et pour reprendre un mot à la mode, il y a là une injustice à laquelle nous n’aurions jamais dû nous habituer.

Le chômage, la mère de notre bataille économique et sociale ?

It’s unemployement, stupid !