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Peut-on véritablement bâtir une Supply Chain d’excellence dans la Pharma

Les enjeux d’optimisation de la Supply Chain dans l’industrie pharmaceutiques sont connus de longue date :

  • Réduire les stocks : les grands laboratoires immobilisant en moyenne 180 jours de ventes dans leurs chaines de valeur, du principe actif au produit fini (1)
  • Viser le proche du 100% de niveau de service dans une industrie où les marges brutes excèdent régulièrement 70%, et dont la disponibilité produit, pour certaines pathologies, notamment dans les biotechs, peuvent représenter des enjeux de vie ou de mort pour les patients
  • Le respect de la conformité règlementaire, la sérialisation dans une industrie fortement régulée

Ajoutons à cela, même si cela n’est pas un enjeu en soi, la digitalisation accélérée de maillons entiers de la Supply Chain.

Et pourtant, depuis de nombreuses années, les nombreux projets menés visant à réduire les niveaux de stock n’ont produit que des résultats limités par rapport à d’autres industries comme l’automobile ou l’agro-alimentaire. Autant de capital immobilisé, qui représente un cout d’opportunité, freinant par exemple le financement de la croissance externe. De même, les améliorations de niveau de service sont infimes dans une industrie où une rupture de stock, à l’exception de certains médicaments OTC (2) signifie rarement une vente perdue. Ainsi, on peut estimer qu’un point d’OTIF(3) représente moins de 0,1% de chiffre d’affaires supplémentaire. Et pourtant, ces dernières années, la majorité des grands labos ont engagé d’ambitieux programmes de refonte de la Supply Chain, tout au moins dans les montants investis, la plupart du temps autour de mise à niveau des technologies supportant les différents processus de la Supply Chain. Alors pourquoi autant d’efforts pour des résultats ne représentant pas au final un véritable saut de performance ?

D’abord pour des raisons structurelles. Avec la délocalisation en Chine et surtout en Inde des usines de principes actifs en amont, une part croissante du manufacturing aujourd’hui sous-traitée (les grands labos travaillent avec en moyenne 100 à 200 Contract Manufacturers)(4), et à l’autre extrémité, un footprint commercial toujours plus étendu, les chaines de valeurs se sont complexifiées. Ensuite, au-delà du morcellement du schéma industriel, la complexité croissante du portefeuille produit et les exigences réglementaires de disponibilité de certains médicaments dans certains pays (ex. : Russie), entrainent mécaniquement une hausse des stocks de sécurité et des cycles . Ainsi, une partie de l’amélioration des niveaux de stock et de service, se trouvent en permanence réduite par ces facteurs. Enfin l’arbitrage coût / capital / service est fortement contraint par la Finance (impératif de disponibilité produit compte tenu des marges brutes) d’un côté et le manufacturing (sérialisation, qualité et conformité) de l’autre. Nous avons là une partie de la réponse à cet apparent manque de progrès, en tous cas dans les chiffres.

Alors, cette « sous-optimisation » de la Supply Chain est-elle une fatalité ? L’industrie est-elle condamnée à investir dans de plus en en plus dans la digitalisation pour des ROI limités ou qui seront absorbés par les tendances exposées ci-dessus ? Pas si sûr … Voici à notre avis 3 grandes pistes d’optimisation.

  1. Reconnaitre la diversité, en segmentant le portefeuille produit selon les caractéristiques supply et demand de chaque famille de produit … et, en conséquence, organiser et piloter la Supply Chain sur base de cette diversité

En effet, parler de la Supply Chain dans l’industrie pharmaceutique comme d’un monolithe a peu de sens. Quels points communs entre la Supply Chain d’un médicament grand public OTC et celle d’un produit biotech à très haute valeur ajoutée distribué à quelques dizaines de milliers de patients dans le monde ? Très peu, pour ne pas dire aucun.

Le portefeuille produit peut être catégorisé en 3 grandes familles, chacune répondant à sa propre logique en termes de stratégie Supply Chain :

  • Un modèle industriel, lorsque la complexité est dans le manufacturing, le pilotage du réseau de Contract manufacturers et les achats (achats à long délai, sourcing unique, …) et non dans la demande. Les Supply Chain sont souvent longues, fortement globalisées, rigides (la capacité nouvelle ne peut être ajoutée rapidement) avec des procédés de fabrication complexes voire instables, et des taux de rebut élevés. On trouve dans cette catégorie les produits biotechs, les vaccins, de nombreux médicaments à forte valeur ajoutée. Les priorités sont de fait sur la maitrise des procédés, avec une primauté donnée au manufacturing et à la qualité. Les points de focalisation pour la Supply Chain sont la visibilité au travers de l’ensemble du système de production afin de bien détecter les risques, l’efficacité des processus de lancement de nouveaux produits, et une fonction demand management / S&OP capable de se projeter sur le moyen / long terme compte tenu des temps de cycle de production longs.
  • Un modèle commercial, lorsque la complexité est dans le pilotage de la demande plus que dans le manufacturing. Dans ce cas, le nombre de références est souvent élevé, la demande volatile et incertaine. On trouve dans cette catégorie des produits OTC ou à plus faible valeur ajoutée. La Supply Chain a toutes les caractéristiques d’une Supply Chain Consumer Goods. Agilité et rapidité sont les maitres mots, et l’efficacité du déploiement des stocks(6) devient le nerf de la guerre. L’ADN même de cette organisation Supply Chain diffère. Le design d’une Supply Chain flexible est essentiel.
  • Un modèle hybride. Dans ce cas, la visibilité d’un bout à l’autre de la chaine de valeur est clé. Bâtir de la flexibilité au travers de points de découplage minimisera l’effet « bull whip ». Cela permet aussi de planifier les opérations sur des périmètres plus cohérents.

Ces modèles sont plus ou moins reconnus au sein des grands laboratoires, mais, hormis au niveau du Customer Service, ils se traduisent encore peu dans la réalité du pilotage de la Supply Chain. Les modèles d’organisation et de collaboration sont souvent les mêmes, les KPIs et incentives des managers les mêmes, les processus de planification et déploiement des stocks peu différenciés.

Au final, les technologies (APS et autres), les organisations intégrées entre ces 3 modèles, empêchent bien souvent de faire vivre un ADN de la collaboration sur des chaines de valeur, qui bien souvent ont peu en commun. Une stratégie Supply Chain cohérente basée sur cette segmentation permet d’équilibrer flexibilité et coûts au travers de tous les composants de Supply Chain, et ainsi d’allouer au mieux le capital.

  1. Mieux intégrer tous les acteurs de la chaine de valeur, notamment les acteurs externes

La visibilité d’un bout à l’autre de la chaine de valeur reste complexe à obtenir, la cartographie même des flux produits, du principe actif aux opérations commerciales étant un exercice que tous les grands labos ne maitrisent pas. Ce manque de visibilité rend chaque maillon de la chaine trop prudent dans le dimensionnement de ses stocks entrants. Les organisations et les systèmes d’inventaire font le reste : chacun optimise encore à son échelon local, le résultat étant un niveau de stock excessif sans pour autant garantir le niveau de service. Alors quels leviers ?

D’abord, la meilleure intégration des nombreux Contract Manufacturers, 100 à 200 en moyenne pour les grands labos. Demande et stocks sont encore mal partagés pour de multiples raisons, pas toujours techniques. Le pilotage du réseau externe hésite souvent entre une logique de production et une logique de supply. Dans un marché où l’innovation devient compliquée, impliquer les Contract Manufacturers dans le design (packaging, device) peut devenir clé pour faire la différence. Gérer ce réseau de manière optimale signifie aussi impliquer des fonctions au-delà des Operations et de la Supply Chain, tout particulièrement le Marketing, la Qualité et le Business Développement, de manière à prendre des décisions équilibrées, prenant en compte tous les aspects du “total cost of ownership”, du risque et des stratégies des concurrents.

Ensuite, sur le plan opérationnel, il faut mieux intégrer la Qualité, souvent une fonction forte et autonome, intercalée entre les différentes étapes du manufacturing et la Supply Chain. Reposant sur des tâches à forte technicité, non gammées et critiques d’un point de vue règlementaire, il est bien souvent impossible de connaitre le délai de libération du produit. Le résultat est sans surprise : dimensionnement des stocks de sécurité sur le délai le plus long, personne ne voulant prendre la responsabilité d’une rupture. C’est un facteur non négligeable pour certaines familles de produit d’augmentation de niveau des stocks.

  1. Apprendre le business de la commodité

Pour une part croissante du portefeuille des grands labos, la Supply Chain a toutes les caractéristiques d’une Supply Chain Consumer Goods décrite plus haut dans un marché européen où la part des génériques dépasse les 20%.

Des laboratoires comme Sanofi, Pfizer, GlaxoSmithKline, Novartis, Beiersdorf ont une part conséquente de leur portefeuille en OTC ou en Rx en concurrence avec des fabricants de génériques comme Teva. Maximiser la valeur de ce portefeuille est un impératif stratégique. Tout comme dans l’aérien où les acteurs historiques se sont retrouvés en concurrence avec les low-costs, c’est non seulement la Supply Chain mais tout l’Operating model qui est à repenser. A titre d’exemple, en reposant sur une connaissance fine des coûts, le pricing peut être repensé pour passer d’un système de pricing « value based » à un système « cost plus ». C’est plus généralement une culture Lean qui est à construire.

Ces 3 grands leviers d’optimisation de la Supply Chain, pour être mis en œuvre, vont nécessiter de repenser les organisations, les compétences requises, les mécanismes de collaboration et d’incentives en profondeur. Au-delà des investissements dans la digitalisation, certes incontournables, c’est bien aussi le facteur humain qui fera la différence demain entre les Supply Chain d’excellence et les autres dans l’industrie pharmaceutique.

  1. Benchmark POBOS Mc Kinsey POBOS
  2. OTC Over The Counter
  3. OTIF On Time In Full
  4. Source Mc Kinsey The Future of Pharma Operations
  5. Boucle DRP / Déploiement
  6. CDMO Contract Development and Manufacturing Organisation

Charles SADONE
Client partner NC Partners on Demand
Spécialiste de la performance des opérations dans l’industrie