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Un monde à reconstruire,
« Lorsqu’une entreprise exprime et comprend vraiment sa raison d’être, elle fonctionne avec la focalisation et la discipline stratégique qui produisent la rentabilité sur le long terme. La raison d’être unifie le management, les employés, et les communautés. Elle guide le comportement éthique et crée un garde-fou essentiel contre les actions qui vont contre l’intérêt des parties prenantes ». Ces lignes sont extraites de la lettre aux dirigeants de Black Rock en 2019. Venant du plus grand fonds de gestion de la planète, on peut raisonnablement penser qu’avec le rapport de Dominique Sénard et Nicole Notat sur la raison d’être des entreprises, elles ont contribué à l’écriture de la loi Pacte de mai 2019. Il était alors question de modifier la législation en faveur de la création d’emplois. C’était avant mars de cette année.
C’est peu de dire que depuis quelques semaines les questions qui sont posées par nos clients ont changé pour se tourner vers des problématiques de performance et de trésorerie, de réduction d’effectifs et de PSE. Avant d’imaginer le monde de demain et de le rebâtir, il va bien falloir passer par une étape de déconstruction qui s’annonce douloureuse sur le plan social et économique. Nous accompagnons par exemple un équipementier qui s’apprête à licencier en masse pour la première fois de son histoire.
Le monde de demain sera plus digital, plus écologique et davantage structuré par le sens. Voilà trois axes que nous esquissions dans ces mêmes lignes il y a quelques semaines.
« Plus digital » : qui en douterait ?
« Plus vert » : les résultats des élections municipales en France vont en ce sens même si ce vert là aura vraisemblablement du mal à s’accommoder avec l’idée de création de valeur : il y est même parfois opposé. L’avenir nous le dira.
« Davantage de sens ». Nous y revoilà, le thème était encore repris dans Les Echos la semaine dernière. Vous êtes nombreux dirigeants à produire les premières propositions. Petit clin d’œil à PwC qui a dû aller voir notre raison d’être pour produire la sienne : « Bâtir la confiance en notre société ». Les communicants d’Orange ont également dû faire un tour sur notre plateforme en allant chercher le mot clé « confiance ». Nous les comprenons, mais un petit coup de fil de leur part nous aurait fait plaisir…
Ni PwC ni Orange ne se sont évidemment inspirées de la raison d’être de la communauté que nous animons, mais ce n’est pas une coïncidence si la notion de confiance revient au premier plan de nos jours. Alors que notre Président de la République évoquait le « désordre mondial » dans sa dernière allocution télévisée, il est frappant de remarquer que le monde est devenu plus VUCA que jamais : Volatile, Incertain, Complexe et Ambigu. Qui peut prédire le prochain tweet du président américain et ses conséquences ? Qui aurait pu prévoir le basculement de Hong Kong vers un régime liberticide ? Dans un tel environnement, la confiance devient fondamentale.
Si la défiance se mondialise et met à mal les relations internationales, la France se singularise par un pessimisme bien spécifique. Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylbergberg le racontent très bien dans La Fabrique de la Défiance. Evidemment, les pouvoirs exécutif, législatif, judiciaire et médiatique ont un peu de travail sur eux-mêmes à accomplir afin de projeter nos démocraties avec confiance dans le futur. Mais nous contribuons nous-mêmes parfois au ferment de cette défiance. Le dernier exemple est récent. Si louables soient ses intentions, la Convention Citoyenne sur le Climat diminue l’importance de l’Assemblée Nationale et les liens entre la population et celles et ceux censés les représenter : les députés et sénateurs.
Ce qui est vrai à l’échelle mondiale ou nationale l’est pour une entreprise. De même qu’une entreprise se fabrique chaque jour, il en va de la confiance nous disent les auteurs de la Fabrique de la Défiance. Construire le monde de demain, c’est donc d’abord construire les fondamentaux d’une confiance renouvelée. Justement parce que la défiance vis-à-vis des pouvoirs cités plus haut va en croissant, la responsabilité des dirigeants d’entreprises ira elle-même en grandissant. Il n’est pas question ici de responsabilité civile ou pénale, mais de responsabilité sociétale et morale.
Bâtir une raison d’être de l’entreprise aidera cette dernière à grandir et à perdurer sur le long terme nous dit donc Black Rock. Sans naïveté aucune, nous pouvons même souhaiter qu’elle contribuera à faire de notre petite planète bleue un monde meilleur. Elle contribuera également tout un chacun, salarié, indépendant, dirigeant, entrepreneur à donner un sens à son travail. Mais celles et ceux qui nous regardent ne se demandent pas seulement si leur travail a un sens et s’il contribue au Bien. Il faudrait déjà s’accorder sur sa définition : Le Bien, le Beau, le Vrai, absolus et universels chez Platon et dans la plupart des religions, sont relatifs et sans cesse en devenir chez Nietzsche par exemple. Universalisme contre relativisme, le débat a toujours été et sera toujours. L’idée d’un Bien relatif trouve son paroxysme sur les réseaux : chaque idée se vaut, nous sommes tous égaux dans la prise de parole et le monde se porterait bien mieux s’il était façonné à l’image de chacun dans son altérité.
Et pourtant : nous cherchons tous plus que jamais et davantage encore les équipes que nous animons, des modèles et des repères. Le dirigeant d’aujourd’hui, celui qui façonnera le monde de demain, sera d’abord un «phare».
Jacques Attali nous propose 24 Phares, 24 destins dans son ouvrage éponyme. Impossible de ne pas être captivé par ces hommes et ces femmes hors du commun qu’il nous propose comme modèles. Il nous raconte Aristote ou la passion de vivre vrai, père de la pensée de Platon (encore lui), ou encore l’histoire d’un personnage qui vous est certainement inconnu : Ibn Rushd. Né au XIIème siècle à Cordoue, musulman, ayant vécu à Marrakech et à Fès, Ibn Rushd est « un géant de la pensée, un libérateur de l’esprit, celui qui aura su le mieux parler du plaisir de penser, de la passion d’apprendre, y compris sous le joug des dictatures ». Ibn Rushd n’aura de cesse pendant sa vie de contribuer à la réconciliation de la science et de la foi en quête du Vrai. Thomas d’Aquin le citera comme « commentateur par excellence » d’Aristote.
Nous ne sommes ni Aristote, Platon, Thomas d’Aquin ou Ibn Rushd. Nous ne leur arriverons jamais à la cheville. Mais leur exemplarité doit nous inspirer au moins autant que nous pourrions accompagner celles et ceux qui nous entourent et se demandent comment construire le monde de demain. Il y a tant à faire !
Ghita & Martin