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Du succès et de l’échec des transformations

Bien se transformer dans un monde qui bouge, mais qui a besoin de stabilité

Galvaudée, la notion de transformation est « mise à toutes les sauces », d’autant plus qu’elle est un business pour les prestataires de conseil, l’industrie du digital ou les vendeurs d’outils et de méthodes d’accompagnement. Pour autant, elle demeure sur le fond un enjeu majeur dans un monde et sur des marchés évolutifs et versatiles. S’adapter constamment, tout en répondant à des attentes croissantes des clients, des collaborateurs et de la société, tel est l’enjeu pour pérenniser son activité, maintenir ses performances et croître. Les grandes transformations (stratégiques, opérationnelles, digitales…) sont ainsi un réel défi pour les entreprises. Commençons par rappeler quatre erreurs qu’il convient d’éviter dans le cadre de chantiers de transformation.

1ère erreur : considérer la transformation comme une finalité. La démarche de transformation se perd parfois dans son propre jeu, en finissant pas s’autoalimenter. On la pilote et on la mène à son terme parce qu’on l’a initiée. Pourtant, le mouvement n’est pas une fin en soi, même dans un monde qui bouge. Une transformation est une forme de traumatisme pour une organisation qui n’en a pas l’habitude, c’est pourquoi il ne faut pas s’y perdre. Toutes les entreprises ont besoin d’une dose de stabilité. Le plus important est le « pourquoi », le sens de la transformation, qu’il ne faut jamais perdre de vue, qui doit être constamment choyé et rappelé, quitte à questionner et ajuster la transformation.

 Quelles sont les conséquences de cette erreur ? On s’embourbe, on met les gens sous pression, on oublie les finalités, on ne sait pas où l’on va, on se transforme tous les ans, on change de cap, on dépense plus que prévu sur le long terme…

2ème erreur : appréhender la transformation comme un projet technique. Il est vrai qu’elle est souvent associée au digital ou à de nouveaux outils (CRM, ERP, outils collaboratifs, outils métiers…), pourtant on parle bien de transformer des hommes, leurs métiers et les organisations. Les transformations ont des impacts humains et organisationnels majeurs qu’il faut pleinement épouser pour mener à bien les évolutions d’une entreprise. « Évidemment mon cher Watson », me direz-vous. Pourtant c’est tellement plus simple de gérer cela comme une histoire de process, et c’est d’ailleurs souvent à tort ce qu’il se passe… Le succès de la transformation commence et se termine avec les équipes !

 Quelles sont les conséquences de cette erreur ? On omet les aspects métiers et humains, on néglige la vie et la culture de l’organisation. Les équipes ne s’approprient pas la transformation. Les nouveaux gestes métier, la nouvelle organisation et le nouveau fonctionnement ne tournent qu’à bas régime, car ils ne sont guidés que par des processus élaborés sur le papier, mais peu incarnés par les équipes. On dévitalise l’organisation, on diminue donc la performance, l’adaptation, la créativité et l’innovation.

3ème erreur : considérer la transformation comme une « simple » affaire de communication interne et de formation. Concrètement, c’est le cas dans 50 % des projets. On crée un chantier parmi tant d’autres que l’on appelle « conduite du changement », on délègue la gestion à un responsable de projet qui s’occupe d’arrondir les angles et de faire avaler la pilule aux équipes avec une dose de communication interne et de formation.

 Quelles sont les conséquences de cette erreur ? On restreint le périmètre de la transformation : on déconnecte le leadership/les aspects techniques/les RH et on ne permet pas à la transformation de s’ancrer. Peu de réflexion amont est faite sur l’évolution métier. L’adhésion est peu suscitée et souvent les équipes se disent « encore une énième transformation » …

4ème erreur : déconnecter la transformation de la réalité opérationnelle, que ce soit lors de sa conception, jusqu’à sa mise en œuvre. Il y a les idées et leur concrétisation. Et dans le cadre d’une transformation, c’est comme le chantier d’une maison : il y a les plans, puis il y a la réalité des travaux (ses contraintes, son suivi, ses malfaçons, ses ajustements). Concevoir la transformation est une chose, la concrétiser dans le travail quotidien des collaborateurs en est une autre, pourtant c’est bien là que tout se joue.

 Quelles sont les conséquences de cette erreur ? Une transformation hors sol, non pérenne, qui ne se concrétise que partiellement et qui créée de nombreux points de crispation.

Pour illustrer certaines de ces erreurs, prenons un exemple (qui en réalité est un contre-exemple). Il s’agit d’un projet de transformation stratégique d’une grande organisation du secteur public (ministère) mené il y a quelques années.

Le projet était une réforme de fond dans une direction de 3000 personnes, échelonnée sur deux ans. L’équipe de direction a souhaité, à juste titre, moderniser cette entité afin de la rendre plus performante et de l’adapter aux nouveaux enjeux. Près d’une dizaine de chantiers ont été identifiés, la plupart liés aux activités des départements (équivalent de BU) et d’autres à des fonctions support (RH).

L’idée était bonne, mais une fois les enjeux analysés et la feuille de route dessinée sur le papier, la transformation est devenue un mantra théorique. On retrouve ici la « 1ère erreur ». La transformation est devenue un projet qui s’autoalimentait : très ambitieux, fatiguant et chronophage pour l’organisation. La réforme de certains départements était probablement nécessaire et la création de nouveaux métiers également, mais il aurait fallu immédiatement se poser la question du comment (ce qui n’a pas été fait). C’est ce qui a mené à la « 4ème erreur ». La transformation a consisté en une réorganisation bien visible, mais peu suivie d’une réelle amélioration opérationnelle, d’une réforme des métiers, d’une nouvelle manière de penser l’activité, d’une appropriation par l’ensemble des niveaux. Les équipes ne se sont pas posées la question de la transformation de leur activité, ce qui était pourtant l’enjeu. Il y avait un décalage constant entre le plan d’action de transformation qui avançait et la transformation réelle des activités qui ne prenaient pas vraiment forme (peu de déclinaison opérationnelle, peu de relais, peu d’adhésion).

Cette transformation a partiellement réussi en améliorant quelques activités et en mettant l’organisation en mouvement. Mais, les défaillances sont bien trop nombreuses pour appeler cela un succès :

  • une adhésion limitée et incertaine ;
  • une vision faiblement partagée et comprise ;
  • des relais dispersés et mal animés ;
  • des directives parfois brutales, pourtant peu mises en œuvre ;
  • une logique d’accompagnement quasi-inexistante ;
  • une déconnexion entre la vision stratégique et la réalité opérationnelle ;
  • un suivi irrégulier et à distance des chantiers ;
  • un engagement de façade : une implication apparente de la direction, qui tournait plus à l’accomplissement de son succès plutôt qu’à l’évolution pérenne de l’organisation.

Que retenir de tout cela au-delà des erreurs à éviter ? D’abord, qu’il n’y a en réalité pas de recette magique car les transformations sont avant tout humaines, même si les outils y ont une place forte. Bien les conduire relève plus du sur-mesure que de la production industrielle. Toutefois, on peut identifier 7 principes fondamentaux à retenir :

  1. Vision et Stratégie : donner du sens, des perspectives, expliquer.
  2. Écouter et connaître son organisation
  3. L’exemplarité du top management : ce n’est pas très à la mode, le bottom-up ou les flat organizations sont plus tendances… pourtant lorsque l’on parle de transformation il faut de l’exemplarité. L’impulsion, l’énergie, l’exemple doivent venir d’en haut : du leadership.
  4. De l’accompagnement et des directives : il ne faut pas les opposer mais bien les utiliser en parallèle.
  5. Aller/retour entre la stratégie et l’opérationnel : contrôler constamment que la transformation se concrétise à tous les niveaux de l’entreprise.
  6. Constituer & animer un réseau représentatif (aux niveaux stratégiques et opérationnels) d’ambassadeurs.
  7. L’engagement : pour terminer, c’est peut-être le plus important des principes. Il mêle la force de travail, l’implication et l’affect. Il parait simple, pourtant il fait souvent défaut et est l’un des plus déterminants.

Samuel Solvit
Consultant en transformation & conduite du changement
Membre de la communauté NC Partners On Demand