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Yohann Desalle, pied au plancher

Yohann Desalle, 45 ans, a fait toute sa carrière dans le transport la gestion de flotte de véhicules. Après 20 ans en entreprise, il exerce son métier en tant qu’indépendant. Une façon de travailler nouvelle pour lui, dans laquelle il s’épanouit.  

Une fois n’est pas coutume. La rencontre avec notre indépendant du mois n’a pas lieu dans un café ou chez lui, mais bien dans les locaux d’un de ses clients, une entreprise du CAC 40. L’homme de 45 ans qui se tient en face de moi porte une chemise blanche (aussi blanche que les murs du bureau), une cravate, des lunettes presque invisibles et un casque vissé aux oreilles. Il est affable et éminemment sympathique. “Ça ferait bondir mes collègues managers de transition mais le plus simple pour décrire mon métier, c’est de dire que je fais de l’intérim avec une cravate.”

Yohann Desalle est un spécialiste de transition énergétique des parcs de véhicules en entreprise, de la voiture électrique au poids-lourd, en passant par la citerne et l’utilitaire. Une mission qui paraît simple et qui ne l’est pas. “Comme tout le monde sait conduire une voiture et a un copain mécanicien, tout le monde est persuadé de savoir faire le job !” La gestion de parc repose sur plusieurs piliers. Le premier – et le plus évident – est le pilotage d’immobilisations, c’est-à-dire choisir, acheter, entretenir et revendre des véhicules. Le deuxième est la révolution que connaît le métier. “Les fabricants ayant des problèmes d’approvisionnement, les délais de livraison s’allongent et la relation avec les vendeurs est parfois compliquée”, souligne Yohann. La transition énergétique a aussi un impact car il faut accompagner le changement au travail. “Si vous ne montrez pas aux gens comment fonctionne un véhicule électrique ou pourquoi l’utilisation du vélo est préconisée pour cet usage, ils ne feront pas eux-mêmes la démarche.”

La voiture de fonction, reflet de la position sociale en entreprise

Enfin, aussi improbable que cela puisse paraître, un gestionnaire de flotte doit savoir composer avec les égos. “La voiture de fonction, c’est une représentation sociale, à la fois une image de l’entreprise et une image de votre position dans l’entreprise, dans la hiérarchie. C’est de l’affect pur et dur.” Yohann Desalle ne compte plus les situations ubuesques ou malaisantes, dans lesquelles il s’est trouvé parce que tel haut dirigeant avait perdu sa clé au milieu d’un marché ou parce que la préfecture avait perdu la carte grise d’un cadre qui avait promis à sa femme qu’ils patiraient en vacances avec le nouveau véhicule de fonction.

Sur le papier, rien ne prédestinait particulièrement Yohann Desalle à ce métier. Élevé en banlieue parisienne par un couple de la classe moyenne, le jeune homme a choisi sa voie presque sur catalogue. “Mon père m’avait ramené cet énorme guide de l’étudiant qui listait toutes les formations post-bac. Je me suis arrêté sur le DUT Transports Logistique, un métier où tout était à faire.” Après cinq ans d’études, il obtient son diplôme en 1999. Il est immédiatement recruté par Via Location. Yohann Desalle va passer 8 ans dans l’entreprise, jusqu’à devenir directeur de la flotte de 8500 camions.

Sauf qu’après presqu’une décennie de bons et loyaux services, il n’a que très peu été augmenté et cumule les journées à rallonge. Avec trois enfants, la logistique familiale est compliquée. Yohann Desalle décide de chercher un nouvel emploi. Il devient directeur de concession chez un franchisé Renault Trucks. En 2008, les choses se corsent. La crise financière touche de plein fouet le secteur et les chiffres ne sont pas bons. Du moins, aux yeux du supérieur direct de Yohann. L’incompatibilité d’humeurs est là. En souffrance au travail, il reprend ses recherches d’emploi et il a le nez creux.

De la Zambie au Kazakhstan

C’est à ce moment-là, en 2011, que Yohann Desalle débarque chez Lactalis. “Lors de mon entretien, j’ai eu affaire à un petit monsieur, un peu malade et un peu vieux, qui ne parlait pas trop. Je me suis dit que j’allais en faire ce que je voulais… Quelle erreur”, s’amuse-t-il. Le petit monsieur en question est son N+1, c’est surtout un monstre de travail. L’un des historiques de Lactalis à la tête de 150 usines et de la R&D. L’homme, “l’un des plus intelligents et des plus exigeants” qu’il n’ait jamais connu, devient son mentor. En 2012, en tant que directeur de la flotte en France, il lui demande de créer trois filiales en Italie, en Espagne et en Croatie pour la gestion en interne (jusque-là externalisée) des flottes de véhicules pour la collecte de lait et la distribution des produits. “Il fallait tout faire : créer des process, recruter.” En 2018, la filiale que gère Yohann enregistre un chiffre d’affaires de 300 millions d’euros et a intégré 42 pays et 20 000 véhicules. “J’ai été une trentaine de fois au Kazakhstan, j’ai acheté des camions au Brésil, formé des techniciens en Zambie au recreusage des pneumatiques…” Il en parle encore avec des étoiles dans les yeux. Il commence aussi à décarboner une partie de la flotte, conscient que si un groupe comme Lactalis ne se penche pas sur la question, personne ne le fera. Au début, il tâtonne, il apprend, il fait des erreurs mais finalement, à force de conviction, peu à peu les habitudes changent. Un succès moins visible que d’autres mais qui fait la fierté de Yohann Desalle.

L’aventure prend fin, un peu tristement en 2018, quand son chef prend sa retraite. Son remplaçant s’intéresse moins au travail de Yohann et celui-ci préfère partir que de comparer les deux personnages. “C’est idiot à dire mais j’ai besoin de travailler avec des gens plus intelligents que moi.” Hitachi le contacte alors et lui propose de créer un business unit qui va dédiée à l’intelligence artificielle appliquée au secteur de la supply-chain. Son travail est de développer des algorithmes et de gérer de la data pour faire émerger de nouveaux outils. “Moi qui travaillais jusqu’ici avec des chauffeurs et des mécaniciens, je me suis retrouvé à la tête d’une équipe de codeurs et de data scientists pour faire de la prédiction sur l’usure des pneumatiques. C’était la découverte d’un nouveau monde et j’ai beaucoup travaillé pour me mettre à niveau.” Le deuxième confinement a malheureusement raison du projet.

Fin 2020, Yohann est à nouveau sur le marché de l’emploi. Il devient alors indépendant. Un ami, lui-même indépendant, souffle le nom de Yohann à un client. Il entame sa première mission dans la foulée et depuis, n’a jamais changé de voie. “Je n’avais jamais pensé au management de transition avant de m’y essayer. Et j’adore ça ! J’aime changer régulièrement de contexte, d’enjeux, d’équipes, de problématiques. J’aime travailler avec un délai imparti et ensuite passer à autre chose, c’est de cette façon que je m’épanouis. Je gère bien la pression.” Depuis, Yohann a successivement été missionné dans une start-up dans le domaine du poids-lourd hydrogène, dans une entreprise de la défense à la direction de la logistique. Il a aussi été un temps directeur d’une flotte de 14 000 véhicules.

Déborah Coeffier