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par Tiphaine Scott de Martinville
Laëtitia Vitaud a déjà vécu plusieurs vies, toutes guidées par la même faim : apprendre. Elle a appris de tant de livres et de ceux qu’elle a écrit (*), appris de ses écoles et quartiers, de sa boîte (**) et de trois métiers… Elle a appris de ses allers et venues, de ses questions sans réponse, des mantras qu’elle s’est donnés, de ceux qu’elle transmet à ses enfants, d’autres qu’elle écrit pour bien des élèves… Et puis, un temps, elle a tout réappris sur un tatami… Jusqu’à la ceinture noire.
En réalité, Laëtitia a surtout appris la vie, la vraie, celle qui se prend à bras le corps, avec tous ses possibles et une souffrance à la clé : lutter pour laisser vivre et s’épanouir des intelligences créatives et puissantes, des pensées globales et visionnaires. Car Laetitia donne tout pour transmettre son goût d’aller plus loin que ce mal qui nous ronge : l’adéquationnisme. Dit autrement ? Lutter contre le dangereux : « Si tu n’es pas 100% dans la case, passe ton chemin ». Inutile de le nier, nous traversons presque tous les fourches caudines de cette affirmation malheureuse. Pas le choix, pas l’envie, pas l’énergie, pas l’effort… Les raisons sont nombreuses. Et alors quoi ?… La case nous ronge, alors que le monde appelle si fortement vers autre chose.
Paradoxalement, Laetitia a été aussi bonne élève, qu’elle a constamment semblée laissée en bord de route d’une société trop normée. L’avantage est qu’elle sait aujourd’hui témoigner de cette violence ordinaire, et cherche encore la façon d’accompagner plus loin, si possible par la main, tous ceux qui à leur tour, viennent chuchoter leur souffrance.
Que personne ne s’y trompe : Laëtitia a su « faire » l’adaptation demandée : rentrer à HEC (quelle joie d’apprendre !), financer ses études (quelle joie d’apprendre !), se donner un projet (quelle joie d’apprendre !), et puis… arriver dans un premier métier, un deuxième, un troisième, aux antipodes de tout ce qu’elle s’était imaginé jusque-là. Au lieu d’apprendre, le monde s’est soudain réduit à faire, et surtout reproduire. Alors, Laëtitia s’est étiolée. Attention, ça ne se voit pas forcément, et c’est peut-être ça, le plus violent : son CV est riche, très riche, de beaucoup d’expériences, rencontres, liens, expérimentations, rebonds, partenaires, vécus, livres encore, livres toujours. Laëtitia enfant est bien là, celle qui adorait lire, écrire et découvrir. Picasso dit un jour qu’il lui fallut toute une vie pour apprendre à dessiner comme un enfant… A travers Laëtitia, c’est bien de ce projet de vie qu’il s’agit.
Alors, son livre devient encore plus pertinent. Puisque le sens se perd, et même qu’il tourne parfois en rond, Laëtitia nous intime de retrouver le goût des mains, le plaisir du toucher, la joie de partager, le besoin de tisser sa propre toile, l’envie de prendre soin de ceux qui font avec, la nécessité de créer à sa main. Elle parle ainsi d’artisanat, et avec lui, de ce temps toujours humain où les enjeux s’apprivoisent à mesure qu’ils se marchent, et les dossiers se sentent à force qu’ils se reniflent. Tant de fois sur le métier, remettons notre ouvrage… Comme si, du fond d’une humanité aujourd’hui poursuivie de connectique et d’interconnexions, d’applications, rencontres, sourires, pitchs, slides et autres rapports de façade, quelque chose mais bon dieu quoi, criait pour autre chose. « Le vide ou la vie ! », dirait cette petite voix.
Pour mettre concrètement les mains à la pâte de l’entreprise qui, de plus en plus souvent, appelle soudain à l’aide, le truc de Laëtitia est bien d’accompagner chacun à remettre les mains dans son propre ouvrage. Se projeter dans sa vie, tenir un projet et s’y tenir, faire tourner son réseau autour, veiller à ses batteries… Si ces mots sont déjà lus, comment faire pour qu’ils deviennent vrais, que le travail sorte de cette aliénation dans laquelle il semble s’être figé ?… Le mot d’aliénation peut sembler dur. Pourtant, combien au quotidien, vivent la séparation de la tête et du corps, de la pensée et de l’exécution, la violence de la tâche aujourd’hui dépourvue des contreparties sociales et humaines qui faisaient jusque-là la «sécurité» dudit travail ?… Laëtitia cherche à réconcilier ces séparations, en redonnant ses lettres de noblesse à l’artisanat : construire l’autonomie de son travail quel qu’il soit, mettre sa tête au service de ses mains, sentir ce que l’on produit, valoriser la singularité de ce que l’on fait, et surtout, surtout, laisser une part de soi dans ce que l’on produit. C’est bien là qu’est l’enjeu, pour nous, au cœur des boîtes, et particulièrement chez NC Partners On Demand, qui les aide à passer des transitions parfois périlleuses : faire en sorte, chacun à sa portée, chacun à sa mesure, que le cœur soit à l’ouvrage. Tout change mais rien ne change, pourrait-on dire ?… Peut-être que l’immuable, actuellement indispensable, est la nécessité d’œuvrer à retrouver, garder, entretenir, le cœur des autres à leur métier… afin que le travail puise son goût dans la tâche, l’atelier, et le compagnonnage. Joli programme, pour nos temps modernes…
(*) Du labeur à l’ouvrage, éd. Calmann-Lévy, 2019.
(**) Cadre noir que Laëtitia a créée en 2015, qui accompagne les entreprises et leurs cadres dans leur rapport au travail et aux reconversions.