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Le plus facile a été fait

70€/MWh nous annonçaient mi-novembre en grande pompe 3 ministres accompagnés de l’actuel PDG d’EDF, Luc Rémont.

70€/MWH devrait être à partir de 2026 le prix moyen de vente de l’électricité en France. A titre illustratif, les prix spot varient en ce moment entre 100€/MWh et 250€/MWh (source : Epexspot)

Si l’on fait abstraction de l’actualité géopolitique, et Dieu sait à quel point c’est difficile, ces 70€/MWh sont une des principales informations économiques du mois passé pour l’hexagone. Pourquoi ? Parce que notre pays ne rééquilibrera pas ses grands indicateurs (pauvreté, budget, dette, balance commerciale, chômage, émissions C02 scope 3) sans notre réindustrialisation. Et il est vain de penser que nous puissions reconstruire une industrie forte sans une énergie abondante, bon marché et décarbonée.

Décarbonée, notre énergie électrique le sera par nature. Abondante, on peut en discuter. Bon marché, voilà quelques années qu’elle ne l’est plus. Le problème est d’abord là.

70€/MWh apporte donc des réponses à l’accessibilité prix de notre électricité mais pose aussi encore de nombreuses questions.

Le premier enseignement que je tire de ce prix mais surtout du nouveau mécanisme de régulation de prix convenu entre l’Etat, sa protégée EDF et indirectement l’Allemagne, c’est son affreuse complexité. Rares seront les personnes qui comprendront et cela n’aidera en rien l’acceptation d’une UE qui se fissure un peu plus chaque jour. Les Pays-Bas en sont un nouveau signe même si leur ras-le-bol européen n’a pas grand-chose à voir avec les prix de l’énergie.

Mais sans aller à Bruxelles, il faut bien mesurer qu’une grande partie de ce mécanisme est défini par le gouvernement. Trop bas, les prix ne rémunéreraient pas assez EDF qui doit financer le renouvellement de son parc et la construction de six nouveaux réacteurs. Trop haut, c’est la compétitivité de nos entreprises et le pouvoir d’achat des ménages qui en pâtirait. Il y a là une forme de recherche d’un « en même temps » déjà tellement chahuté.

Essayons donc tout d’abord de résumer « l’accord trouvé entre EDF et son actionnaire ». A partir de 78-80€/MWh de prix de vente, les revenus d’EDF seront taxés à hauteur de 50% par l’Etat pour être redistribués vers les consommateurs. A partir de 110€/MWh, les revenus d’EDF seront presque entièrement taxés pour atteindre 90%. Ces seuils seront appelés à être revus tous les 3 ans. Attendons-nous à des discussions musclées lors de ces échéances et à des avis de tous types par celles et ceux qui en subiront les conséquences, c’est-à-dire vous et moi, autant dire tout le monde. Le marché coté, aussi injuste et aveugle qu’il est, présente au moins l’avantage de ne laisser la discussion à personne en matière de prix. Un prix de marché est un prix de marché, il est à prendre ou à laisser. Tout cela change désormais : les prix seront désormais largement régulés pour une grande partie des consommateurs.

Ce mécanisme sera amené à remplacer après 2025 l’ARENH dont tout connaisseur du secteur énergétique sait à quel point il aura fait du tort à notre énergéticien au bénéficie du consommateur final. Le seuil de l’ARENH était de 42€/MWh. Le nouveau mécanisme, en protégeant les revenus d’EDF jusqu’à 78€/MWh, nuit irrémédiablement au particulier qui verra les tarifs réglementés augmenter. Comme personne n’y comprend rien, le message est passé comme une lettre à la poste. Nous en reparlerons au moment de leur hausse effective !

Les entreprises, pas toutes, y gagnent sur deux tableaux essentiellement. Elle se prémunissent en partie d’une hausse des prix sur les marchés de gros chez lesquels elles peuvent avoir l’habitude de sourcer leur énergie. Par la voix du « mécanisme de redistribution » orchestré par l’Etat, elles paieront certes leur énergie au prix du marché mais seront partiellement remboursées par le mécanisme de redistribution si les prix dépassent les seuils décrits rapidement plus haut. Mais gare à l’usine à gaz ! Le deuxième avantage offert aux entreprises sera la possibilité de convenir avec EDF de contrats d’achat sur des durées longues. Ils diminueront d’autant leur risque prix et s’offriront en même temps de la visibilité prix.

Quant aux électro-intensifs, EDF semble avoir de nombreuses possibilités pour leur offrir des contrats ad-hoc offrant durée longue, flexibilité de consommation…et prix. Je dis « semble » car je n’ai encore rien vu de précis sur le sujet. Qui vivra verra.

Quel sera le prix final payé par les consommateurs industriels en fin d’année après ajustement par le mécanisme de redistribution ? Impossible de le savoir à l’avance, c’est là un de ses défauts. Mais qui connaît à l’avance les prix spot sur les marchés de gros ? Personne non plus.

Qu’en pensent les concurrents d’EDF ? Il faudrait le leur demander. Ils sont pour l’instant groggy par l’absence de concertation. Tout cela s’est fait sans eux. Nul doute qu’ils se demandent déjà comment jouer dans ce nouveau marché aux règles totalement nouvelles. Et s’il n’y a pas là distorsion de concurrence à l’avantage de notre énergéticien historique.

Comment fonctionnera précisément le mécanisme de redistribution de l’Etat ? Si vous avez l’information, je suis preneur. Je doute que les intéressés le sachent eux-mêmes. Ils ont encore deux ans pour se mettre en ordre de bataille.

Et l’Allemagne, est-elle d’accord ? Le principe avait déjà été acté, la négociation franco-française entre l’Etat et EDF ayant suivi celle entre la France et l’Allemagne un mois plus tôt. Je me demande surtout ce que l’Allemagne a obtenu en contrepartie de ce qui n’est rien de moins qu’une nouvelle organisation du marché électrique en France. Faisant fi avec nous des règles européennes historiques, nos voisins outre-Rhin ont monnayé notre réforme contre le subventionnement direct de leur industrie qui subit actuellement de plein fouet l’augmentation de ses coûts énergétiques, gaz et électricité au premier chef. Ce faisant, ils souhaitent éviter une mécanique de désindustrialisation que nous connaissons trop bien. L’Allemagne a compris bien avant nous que ce qui faisait la richesse d’un pays était son industrie. Elle fera tout ce qui est son pouvoir pour la sauvegarder.

Il faut reconnaître à notre gouvernement d’avoir pris le sujet à bras le corps même si je suis sceptique sur la mise en œuvre du mécanisme de redistribution pensé par le PDG d’EDF. C’est trop compliqué pour nos concitoyens qui ont besoin de simplicité et donc de transparence.

Mais à la fin des fins, voilà une nouvelle organisation du marché qui devrait bénéficier à nos industriels et nos artisans tout en maintenant à flots, j’espère, EDF.

Le plus facile a été fait en matière de réindustrialisation de notre pays. Après la création de la BPI qui en a fait un des piliers de sa stratégie, après la création de la French Fab, après France Relance, après les 54 milliards d’Euros de France 2030, après la loi pour l’industrie verte, après les initiatives privées de toutes sortes comme Origine France Garantie, et en l’absence de réelle politique européenne dédiée à la production plutôt qu’à la consommation, tout commence.

En s’attaquant à l’énergie, notre gouvernement entreprend l’une des tâches les plus compliquées et les plus importantes de notre nouvelle industrialisation. Il faut qu’il y parvienne, alors c’est ce que je lui souhaite.

Martin