Alice Chenard, suivez la fusée
L’ambitieuse jeune femme de 33 ans, passée par Roland Berger, Estée Lauder et Imker Capital Partners, revient à ses premières amours en tant que consultante indépendante, spécialisée dans l’habillement, le luxe et le lifestyle.
Avez-vous déjà aperçu une comète ? Un objet céleste bien tangible, de glace et de poussière, qui traverse l’espace depuis, parfois, des millions d’années et qui ne brille que quelques secondes dans la nuit noire. Un instant magique et tellement fugace, que l’on se demande souvent si l’on ne l’a pas imaginé. Alice Chenard est une comète à sa manière. Brillante, véloce et presqu’un peu irréelle. Elle a appris à lire à 2 ans, passé le bac à 16, intégré l’Essec à 18 et gravi le Kilimandjaro à 32. Débordante d’énergie et sourire XXL, Alice n’a pas de temps à perdre dans la vie : “J’ai besoin que ça bouge. J’aime le mouvement, être dans des environnements dynamiques. Le petit confort, ce n’est pas ce qui me drive.” Doux euphémisme. Certes, Alice n’est pas du genre à reculer devant les obstacles mais là où beaucoup prendraient les choses comme un défi ou une tâche harassante, la jeune femme les envisage plus comme un casse-tête, un jeu ou un problème complexe à résoudre. Avec une facilité déconcertante.
C’est d’ailleurs pour cette raison qu’Alice a choisi le conseil en stratégie, après son école de commerce. Initialement, elle s’était intéressée à l’arbitrage immobilier, jusqu’à faire un stage dans cette branche chez BNP Paribas : “Vu l’envergure des transactions, qui peuvent s’élever à plusieurs centaines de millions d’euros, une vente peut prendre 5, 6, 7 ans. Forcément, il y a des jours où vous n’avez rien à faire. Donc j’ai vite compris que ce n’était pas pour moi.” Non, Alice, qui a été diagnostiquée surdouée, a besoin d’être stimulée. Beaucoup et tous les jours. De se sentir utile aussi. Après un échange à l’université de Duke aux Etats-Unis dans le cadre de son MBA, elle intègre donc le cabinet Roland Berger à 22 ans. Sa première mission ? Développer de nouvelles offres pour une compagnie aérienne. Du fun et de quoi fourbir ses premières armes. Alice se distingue et est envoyée rapidement sur des missions plus complexes : six mois seule en Belgique chez un client spécialiste du trading de gaz, puis un an chez un leader mondial de la sidérurgie. “Ce n’était pas du tout mes sujets de prédilection mais j’ai appris le contact client de la meilleure des manières. Vous imaginez, une jeune femme de 23 ans expliquer à des ouvriers de 30 ans de métier qu’il va falloir changer toutes leurs habitudes ?” Alice engrange de l’expérience et gravit les échelons.
Une marque dont il ne faut pas prononcer le nom
En 2018, après presque six ans chez Roland Berger, elle est senior consultant et elle trépigne d’impatience de devenir manager. Elle en a l’étoffe, elle dirige déjà des équipes et la clientèle est très satisfaite de son travail. Mais voilà, on lui demande d’attendre six mois de plus et Alice n’en a pas envie. “Je me suis donc dit que c’était le bon moment pour passer en entreprise.” Elle est recrutée chez Estée Lauder comme bras droit de la VP en charge de la stratégie du groupe de cosmétiques en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique. Avec une équipe de trois personnes, elle se prête à un exercice d’équilibriste qui consiste à coordonner le développement commercial et la stratégie à l’échelle du groupe, des différentes marques qui le composent et leur mise en œuvre spécifique sur chaque marché qui a ses propres caractéristiques. “On a beaucoup travaillé à l’identification de nouveaux segments, à la croissance de gammes qui avaient le vent en poupe. J’ai aussi eu l’occasion de participer aux négociations commerciales avec Sephora ou au développement de produits plus “clean” avec la montée en puissance de la RSE”, détaille Alice. Un travail stratégique qui porte ses fruits : le groupe gagne du terrain sur des segments-clés comme les sérums et la fragrance haut de gamme, au cœur de sa dynamique de croissance.
Deux ans plus tard, Alice est chassée mais pas pour n’importe quel poste. Imker Capital Partners, un fonds d’investissement privé britannique, vient de racheter une marque d’ultra-luxe dans le soin de la peau. Une maison où une crème de soin coûte plusieurs milliers d’euros, que les stars d’Hollywood s’arrachent et qui ne fait pas de publicité. Jamais. Une marque tellement exclusive qu’Alice doit encore en taire le nom aujourd’hui. “Le groupe cherchait un operating partner pour piloter la stratégie et développer la marque. Avant même de passer un quelconque entretien, j’ai dû signer plusieurs accords de confidentialité.” L’opportunité est belle, le challenge évident et Alice se lance. En 4 ans, la politique de tarification a été rationalisée, des distributeurs rachetés, un canal de vente en ligne lancé, de nouveaux marchés ouverts dans différents pays… Les différents projets sont couronnés de succès.
Pourtant, à l’été 2024, Alice réfléchit. La déclinaison opérationnelle de la nouvelle stratégie de la marque est sur les rails et les différents projets suivent leur cours : “J’avais fait le tour, le rythme se ralentissait et je n’avais pas envie d’avoir un poste où je me serais retrouvée en position de confort.” La jeune dirigeante, avide de toujours grandir et impatiente par nature, décide donc de retourner vers le conseil, comme un nouveau défi. “Je suis curieuse de nature et j’assume d’être assez carriériste, j’ai besoin de faire de nouvelles choses tout le temps. Pour autant, je n’ai pas d’œillères et il me faut reprendre un certain nombre de bons réflexes.” Retail, beauté, luxe, lifestyle, elle ne veut se fermer aucune porte. Pour cela, Alice a fait le choix de l’indépendance, estimant qu’après plus d’une décennie d’expérience professionnelle dans des domaines exigeants, elle a gagné le droit de choisir ses missions. Sous sa propre structure, A.C. Strat & Co, elle accompagne aujourd’hui des dirigeants et investisseurs dans des projets de transformation à fort enjeu. “Ce qui m’anime, c’est de résoudre des problématiques complexes. En temps réel, pas à un horizon lointain. Avec des gens passionnés sur des sujets qui comptent.” Une liberté qui n’a pas de prix.
Par Déborah Coeffier