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Réindustrialiser la France – épisode 12 – Projet de Loi Industrie Verte : un pas dans la bonne direction.

Cette semaine, le projet de loi « industrie verte » est de retour à l’Assemblée nationale après son adoption en première lecture au Sénat. Une première étape de franchie, même si en raison des jeux politiques, une adoption rapide par l’Assemblée avant la pause estivale, aussi importante soit-elle, risque d’être plus laborieuse. La nature et le nombre d’amendements déposés en sont une illustration, sur un projet de loi qui pourtant, même imparfait, devrait sur le fond rassembler plutôt que diviser.

Revenons aux intentions et aux fondements de ce projet. Contrairement à l’IRA, le projet de loi « Industrie Verte » porte un libellé plutôt explicite. L’intention est claire, et similaire à l’initiative américaine : faire de la France le leader de l’industrie verte en Europe, c’est-à-dire favoriser le développement des industries d’avenir sur le territoire national plutôt qu’ailleurs.

Il se veut un des leviers de la réindustrialisation pour redonner à l’industrie française le poids économique qui lui revient, tout en réduisant l’impact environnemental du tissu industriel. Le projet porte donc un double objectif : devenir un leader pour les nouvelles industries permettant la décarbonation de l’économie (batteries électriques, pompes à chaleur, hydrogène vert, biogaz et biométhane, les technologies de capture et de stockage de carbone, etc.) d’une part, et verdir les industries existantes d’autre part.

Ce double objectif peut sembler antinomique. A priori, difficile de conjuguer facilement « plus d’industries » et « moins d’impact environnemental ». C’est pourtant faisable et presque évident : quitte à utiliser des batteries, autant les fabriquer proprement en France plutôt que de les importer en provenance de sites de production plus polluants. Les partisans de la décroissance, qui ne préféreraient ni les importer, ni les fabriquer, ne seront sûrement pas d’accord avec cette position, c’est pourtant la seule position environnementale responsable pour éviter le suicide économique et social de la décroissance.

Intéressons-nous maintenant aux mesures contenues dans ce projet de loi. Nous l’avons évoqué dans les articles publiés au cours des derniers mois, les obstacles et les freins qui se dressent en France sur le chemin de la réindustrialisation sont nombreux et de nature très diverse : acceptation sociale et attractivité du secteur, coûts de production, complexité administrative, enjeux fonciers, financement des projets, formation et main-d’œuvre, etc. Ce projet de loi n’a évidemment pas vocation à apporter des solutions à l’ensemble de ces enjeux, mais il a une grande vertu, celle d’apporter des réponses, même partielles à plusieurs d’entre eux. Il faut bien commencer quelque part. Nous avons assez critiqué l’attentisme européen, soyons donc honnêtes, saluons l’initiative française. Dans les faits, en espérant que ces mesures démontrent une réelle efficacité, des progrès importants sont attendus pour faciliter et accélérer l’implantation de sites industriels en France, pour mobiliser l’épargne privée vers des projets industriels, pour renforcer l’attractivité du secteur et remettre l’industrie au cœur des formations. Si ces objectifs sont atteints, ce sera déjà un progrès énorme.

Le projet de loi n’a pas non plus la puissance financière de l’IRA, mais il a l’avantage de proposer une approche plus holistique, agissant autant pour la facilitation des projets, que pour leur financement, tout en recréant un contexte global favorable au (re)développement industriel. Et rappelons que des sommes, certes plus modestes, ont déjà été annoncées dans le cadre de France Relance et France 2030, et des aides publiques sont toujours possibles, à la pièce, pour permettre à des projets de se réaliser.

Revenons sur la genèse du projet de loi. Je ne crois pas nécessaire de revenir une nouvelle fois sur le rationnel et les bénéfices économiques et sociaux de la réindustrialisation, mais il est intéressant de s’arrêter sur le processus qui a conduit à l’élaboration de cette pièce législative. Sous le pilotage du député Guillaume Kasbarian, plus de 400 consultations et 5 chantiers ont mené à l’élaboration de 29 propositions pour le projet de loi Industrie Verte détaillées dans un rapport présenté aux ministres concernés. Il faut souligner la qualité du processus qui a conduit à ces propositions qui forment un tout cohérent, ambitieux et réaliste en réponse aux enjeux de la réindustrialisation. Une grande majorité des freins et obstacles à la réindustrialisation y sont identifiés, et des réponses pragmatiques y sont proposées. Le projet de loi Industrie Verte reprendrait, dans sa forme actuelle seulement 12 des 29 propositions.  Une dizaine d’autres prévoient d’être portées par d’autres véhicules législatifs, par voie réglementaire ou par d’autres dispositions. Souhaitons que ce soit bien le cas, et que cela puisse être fait rapidement. Surtout que plusieurs mesures, comme celles liées à la formation, mettront du temps à prendre effet.

Après l’enthousiasme procuré par la lecture du rapport, c’est donc avec une certaine déception que j’ai pris connaissance du contenu du projet de loi, en raison de l’écart entre les mesures du rapport et celles portées par le projet de loi. Ceci dit, il faut rester réaliste, dans un agenda politique et législatif complexe, il faut aussi se donner des priorités et accepter les compromis. Les enjeux sont aussi politiques, on l’a bien vu lors du retour du texte à l’Assemblée cette semaine. D’un côté de l’échiquier, on pense que le projet de loi est trop industriel et pas assez vert, de l’autre qu’il est trop vert et pas assez industriel. On peut penser que le texte proposé est peut-être proche d’un équilibre et d’un juste compromis afin de permettre une adoption rapide. Car même s’il n’est pas parfait, s’il ne va pas assez loin sur certaines mesures, ou s’il reste incomplet en ne couvrant pas tous les enjeux liés la réindustrialisation, une adoption rapide à l’assemblée reste essentielle pour ne pas perdre plus de temps et de terrain en matière de réindustrialisation, face à l’IRA notamment.

Si comme on l’entend, et on le souhaite, la réindustrialisation verte est LA priorité du gouvernement, il faut selon l’expression consacrée que les « bottines suivent les babines ». Il faut donc que l’ensemble des mesures proposées initialement dans le rapport de consultation soient étudiées et mises en œuvre. Il faut espérer qu’un suivi rigoureux sera fait pour s’assurer que ces mesures ne se perdent pas en route, ou que la politique ne nuise pas au courage du gouvernement pour les mettre en œuvre, à l’image du déplorable recul sur la suppression de la CVAE. Les entreprises n’aiment pas ce genre de surprises. Il est évident que ce recul n’est pas lié aux montants qui sont en jeu dans un cadre de restrictions budgétaires, mais à la crainte des critiques populaires si on baisse les impôts des entreprises dans un contexte de réduction des dépenses publiques. Espérons que ce projet de loi rassure les entreprises et les entrepreneurs sur les intentions et la trajectoire du gouvernement.

Depuis plusieurs mois, la réindustrialisation était présentée comme un projet de société et la grande priorité gouvernementale. Il était temps que des mesures concrètes accompagnent ses déclarations. Même s’il reste à mon goût un peu timide et incomplet, ce projet de loi à une immense vertu, celle d’exister et de nous faire avancer collectivement. Il a aussi l’avantage d’envoyer un signal clair à l’ensemble des acteurs de l’écosystème industriel, décideurs locaux, entrepreneurs, investisseurs : que la France est un terreau favorable à l’accueil et au développement de projets industriels vertueux. Bref, on avance, doucement, mais dans le bon sens, ce que l’Europe n’a pas fait, depuis les intentions évoquées au mois de février, qui sont déjà loin, très loin, alors que les autres régions du monde avancent vite, très vite. Ce projet de loi dont tout le monde devrait faciliter une adoption rapide est donc une très bonne nouvelle, en espérant qu’il y en ait d’autres rapidement, car des enjeux tels que les coûts de l’énergie, les coûts de production, ou l’acceptabilité sociale et environnementale de la réindustrialisation restent des freins, ou des leviers, majeurs qu’il faudra aborder rapidement.