Un peu de lecture
Il faut lire le rapport Draghi sur la compétitivité européenne.
Nous sommes nombreux à avoir demandé l’établissement d’une stratégie industrielle européenne ces derniers mois : M. Luca de Meo PDG de Renault dans sa lettre à l’Europe en février dernier, près d’un millier de PDG de toute l’Europe rassemblés autour de la déclaration d’Anvers un mois plus tard – BlueBirds fait partie des signataires –, l’Association Française des Entreprises Privées (AFEP) un peu avant l’été et puis dernièrement Guillaume Faury, PDG d’Airbus, qui écrivait dans les Echos le 25 juillet souhaiter des changements de politique au niveau européen pour favoriser la constitution de champions européens.
Notre souhait a été entendu et dans une certaine mesure exaucée. M. Draghi écrit dans l’introduction de son rapport sur la compétitivité européenne : « The objective of this report is to lay out a new industrial strategy for Europe« .
Dans son rapport, M. Draghi fait le constat d’une Europe qui a décroché. Nous nous appauvrissons. Il aurait pu écrire que la stratégie économique de l’UE de ces 25 dernières années a été un échec que le message n’aurait pas été très différent. En prendre conscience, c’est faire le premier pas vers un changement.
L’ancien Président de la BCE pose les fondations d’une inflexion forte de la politique économique, sociale et environnementale de toute l’UE. Le principe même d’un changement de trajectoire est une très bonne chose tant nous avons fait fausse route. Cette trajectoire ne répondra évidemment pas aux attentes de tous mais elle aura le mérite de tenter de nous sortir de l’ornière dans laquelle les 450 millions d’Européens ont plongé avec vous et moi. L’Europe pensait le monde ouvert à tous vents pour la nuit des temps. Elle redécouvre les frontières et les guerres, dont celles économiques. Il y a beaucoup d’idées et de concepts totalement nouveaux dans le rapport Draghi comme par exemple l’établissement de stratégies différentes selon les secteurs. A vrai dire, quelle que soit votre sensibilité, il y a de fortes chances que vous puissiez trouver dans son texte quelque parole qui chante à vos oreilles. C’est mon cas. Et inversement. C’est mon cas aussi.
Une rapide analyse sémantique dit beaucoup de ce qui plaira moins à certains d’entre vous. Les mots « competitiveness » et « productivity » apparaissent respectivement 104 et 75 fois. C’est le thème du rapport. Le mot « production » n’apparaît que 30 fois seulement. C’est deux à trois fois moins. Surprenant. Le mot « employment », accrochez-vous, n’apparaît que 6 fois. C’est là un angle mort qui en fera bondir plus d’un. Il nous faut une stratégie industrielle européenne qui promeuve l’emploi, sans quoi nous courrons à la catastrophe d’une désindustrialisation à l’échelle du continent. Nous avons connu la nôtre, l’Allemagne craint maintenant la sienne. « Le risque d’une désindustrialisation liée aux départs silencieux de nombreuses ETI ne cesse d’augmenter », rappelait Siegfried Russwurm, le président de la Fédération de l’industrie (BDI) dans les colonnes des Echos le 10 septembre dernier.
M. Draghi estime les besoins annuels en investissements productifs de la stratégie qu’il propose de l’ordre de 750 à 800 Mds d’Euros. Qui financerait ces investissements ?
Les capitaux privés d’une part qui selon ses hypothèses seraient davantage fléchés vers l’UE sous réserve d’incentives fiscaux par les Etats Membres, de l’unification des marchés de capitaux et de deux ou trois autres choses comme l’assagissement des normes.
Et l’argent public d’autre part apporté entre autres par les Etats Membres qui se focaliseraient sur les enjeux prioritaires décidés par l’UE. Comprendre : un manque à gagner de revenus au moins temporairement pour les Etats Membres et plus d’investissements donc plus de dette souveraine pour chacun d’eux. On a du mal à imaginer un tel scénario appliqué à la France dans le contexte actuel de nos finances publiques. Hasard du calendrier, j’interrogeais dans notre podcast il y a dix jours, Olivier Babeau sur la question de la dette publique française. C’est ici. Vous pouvez aussi l’écouter dans ses chroniques sur Europe 1.
Dans le scénario proposé, l’UE elle-même lèverait davantage de dette et investirait sur ses fonds propres. Les capacités financières de l’UE grandiraient. L’UE s’autonomiserait davantage aux dépens des Etats Membres. Et parce que tout projet nécessite un mode de pilotage, M. Draghi appelle à une réforme de la gouvernance de l’UE. « Europe must act as a Union in a way it never has before ». En un mot, la gouvernance de l’UE serait plus intégrée.
Comme souvent dans ces rapports, ce qui n’y figure pas compte autant que ce que l’on peut y lire.
La stratégie industrielle proposée par M. Draghi n’est pas seulement une stratégie industrielle. Elle pose les fondations d’une UE plus autonome avec plus de moyens. A être plus intégrée, plus forte, l’Europe sera plus souveraine. Or la souveraineté ne se partage pas : une Europe plus souveraine, c’est la France qui l’est moins. La France moins libre, l’Allemagne moins libre. 25 autres pays moins libres. Qu’en pensent les peuples qui n’ont élu ni Mme Von der Leyen, ni M. Draghi, ni aucun membre de la Commission européenne ? Qu’en pense notre Assemblée qui votera le Budget dans quelques jours ?
Dans l’attente de la mise en œuvre d’une telle stratégie au niveau européen, beaucoup de leviers restent entre nos mains. Avec Guillaume Caudron, ancien chef de cabinet du Ministre des Finances du Québec, nous nous sommes lancés dans l’écriture d’un livre ayant pour objet de tenter de résumer ce que nous pourrions faire pour réindustrialiser le pays qui nous a vu naître. Vous le trouverez plus bas.
Lisez d’abord M. Draghi, c’est plus riche, bien plus ambitieux et plus novateur. Sa parole a surtout un poids que Guillaume et moi n’aurons jamais. Mais si vous avez encore un peu de temps, je ne peux que vous encourager à découvrir « Réindustrialiser ». Et puis si vous avez quelques commentaires, nous sommes plus accessibles !
Dans les deux cas, bonne lecture !
Martin