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Du côté du Japon

Ouf, mai est derrière nous. 

Cela y est, BlueBirds, vous et moi avons passé les ponts, les pauses, les vacances des uns et des autres y compris ceux de nos clients et de nos prestataires. En attendant les prochains. Il vous faudra une force de conviction rare pour me faire changer d’avis sur un point : nous devons travailler collectivement plus. Ce n’est d’ailleurs pas seulement une conviction. Un Français ayant un emploi travaillait en moyenne 1500 heures par an en 2023 (source : OCDE). La moyenne de l’OCDE est de 1742. On en fait des choses en 242 heures. C’est sept semaines. Les Etats-Unis sont à 1799. Il n’y a pas de chiffre officiel pour les Chinois. Il est estimé à 2000 heures. Quand le week-end ne dure qu’une journée, on comprend pourquoi. Les Chinois ne sont peut-être pas un exemple à suivre en matière de travail, mais nous ne le sommes pas davantage. Le droit à la paresse cher à certains dans l’hémicycle, cela va un temps. 

La première attente des Français est désormais le pouvoir d’achat. En travaillant davantage, on produit davantage et on s’enrichit. La réciproque est vraie. A travailler moins, on s’appauvrit. Nos aïeux paysans qui n’avaient pas tous suivi de grandes études le savaient bien mieux que nous. L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt nous disaient-ils.

N’arrivant plus à contenir un tant soit peu le déficit des comptes publics, notre Gouvernement nous prévient qu’il s’apprête à demander des efforts à tous les Français. Peut-être a-t-il perçu la panique sur les marchés obligataires japonais ce mois-ci comme un avertissement. Voilà ce qui arrive à un pays qui use et abuse de la dette publique. Les banquiers finissent par hésiter à leur prêter de l’argent. Il est pourtant un levier à l’équilibre des comptes publics français en train de disparaître de nos préoccupations : la croissance. A hésiter entre croissance et décroissance, nous hésitons entre travailler davantage ou travailler moins. Au regard de notre position dans le classement OCDE ci-dessus, notre décision semble tout de même prise. Croissance et travail sont sœurs. Ne nous étonnons pas de la croissance désormais presque à zéro du pays. Nous avons réalisé +0,1% au T1 2025 (source : INSEE). L’année dernière, la croissance française aura été de 1,2% contre 5,0% en Chine. L’économie chinoise croît donc quatre fois plus vite que la nôtre alors qu’elle est déjà cinq fois plus grande. A cette vitesse là et compte tenu de sa taille, l’économie chinoise a crû en une seule année d’une valeur correspond au tiers de toute l’économie française…

… tout en réduisant son impact carbone. Les émissions de CO2 chinoises ont diminué de 1,6% au T1 2025. Pourtant, pas de RGPD en Chine. Décarboner n’est pas seulement affaire d’obligation morale ou réglementaire, elle est plus simplement une envie. Les Chinois nous le prouvent. 

Les moteurs de la croissance française sont en panne nous dit Nathalie Silbert dans un article des Echos daté du 28 mai. Un moteur ne démarre que si l’on appuie sur le bouton « start ». Pour l’instant, nous sommes au bord de la rivière en train de siroter un rosé. La voiture attend sagement à l’ombre. Elle attendra encore un peu. Après l’apéritif vient le pique-nique sur l’herbe puis la sieste.

« Montez sur votre tonneau »

Vous allez penser que je râle, une fois n’est pas coutume. Je ne me plains pas, je fais partie de ces privilégiés qui ont appris à se taire. Je ne peux pas non plus m’empêcher de prendre la parole quand je le peux désormais. D’où cette lettre, les autres le dimanche matin, le podcast, un livre et deux ou trois autres projets dans les cartons. Nicolas Dufourcq demande aux patrons de tenir un discours iconoclaste. Je me méfie de ce qui est iconoclaste, on tombe vite dans les équilibres instables. Mais s’il s’agit de s’attaquer aux idées reçues qui nous envoyés dans le mur se dressant devant nous aujourd’hui, je le suis bien volontiers. Je le suis encore quand il déclarait dans Challenges récemment :

« Cela fait douze ans que je dis aux chefs d’entreprise de monter sur leur tonneau avec la même puissance vocale que les syndicats ou les politiques. Il est important d’être entendu, car après il est trop tard pour se plaindre. D’ailleurs, si nous avions écouté les entrepreneurs depuis 1974, nous n’en serions pas là. » 

Nous en sommes là. Voyez là une litote. A part pour quelques huluberlus et malgré certains succès aussi réels que passagers comme Choose France, force est de constater que nos indicateurs nationaux virent à l’orange quand ils ne sont pas déjà au rouge. La dernière information à m’avoir laissé sans voix est le rapport de la Cour des Comptes sur la Sécurité Sociale. « La trajectoire des comptes sociaux est désormais hors de contrôle » nous dit-elle. Creusant un peu le sujet, j’ai découvert que la Cour avait cessé de certifier les comptes de la branche famille et de la CNAF depuis 2022. Elle est désormais dans l’incapacité de le faire : elle a perdu confiance dans les informations qui lui sont présentées. Elle certifie les comptes des autres branches mais seulement avec réserve. La Sécurité Sociale, c’est un budget de 666 Md€ en 2025, première source de dépense publique en France, bien avant celle de l’Etat. Et nous n’arrivons plus à certifier ses comptes ! Comment stopper cet effondrement ? Je me pose désormais la question presque tous les jours. Je suis certain que beaucoup d’entre vous aussi.

Les chefs d’entreprises sont par nature ancrés dans le réel, c’est ce qui explique peut-être dans un sondage Opinion Way pour ETHIC paru en février dernier que 64 % des Français estiment que les propositions des chefs d’entreprise devraient être écoutées et appliquées pour améliorer la situation du pays. Je vous épargne leur perception de notre classe politique dans le même sondage, on leur casse suffisamment de sucre sur le dos. Michel-Edouard Leclerc nous dit qu’il n’est pas intéressé par le poste vacant en 2027. J’ai le sentiment que Nicolas Dufourcq s’y intéresse, lui. Nous verrons bien. 

Parmi les chefs d’entreprises droits dans leurs bottes et pas avares de paroles, notre star nationale Jean-Marc Jancovici avance à sa façon. Il annonçait le 29 mai avoir déjà levé 2 millions d’euros pour faire grandir le Shift Project. Record historique pour la plateforme Ulule. Tout le monde n’est pas M. Jancovici et ses 1,3 millions de followers sur LinkedIn mais il montre l’exemple. La formule tient en trois mots : un projet à impact, une parole et Ulule. A vous !

Plus classique mais toujours aussi efficace, allez écouter la parole des chefs d’entreprises qui défilent depuis plusieurs semaines à la commission de l’Assemblée Nationale sur les freins à la réindustrialisation. Parmi les derniers figurent Patrick Pouyanné (TotalEnergies), Yves Perrier (Edmond de Rothschild), Bertrand Rambaud (Siparex), Philippe Setbon (Natixis) et Maya Atig (Fédération bancaire).

5 000 000 de robots industriels

« L’industrie est la mère de toutes les batailles économiques » nous dit Geoffroy Roux de Bezieux ancien Président du Medef dans le documentaire de France 5 paru le 25 mai dernier. Il a bien raison. D’autres semblent pourtant vouloir abandonner l’idée de porter à 12% le poids de l’industrie dans le PIB. Pour rappel, nous sommes à 10% et en décroissance. La Chine est à 32%. C’est ce qui m’a valu quelques échanges mouchetés avec Bruno Bonnell sur LinkedIn. Je le regrette d’autant plus que M. Bonnell a un parcours qui impose le respect et qu’il fait un travail remarquable depuis qu’il dirige France 2030. Nous nous sommes expliqués. M. Bonnell souhaite intégrer de nouvelles nomenclatures dans le calcul du PIB industriel pour mieux prendre en compte les nouveaux visages de l’industrie. Pourquoi pas. Tout cela est comptable, ne perdons pas l’objectif désormais partagé de faire renaître notre industrie. Nous sommes pour l’instant sur le chemin inverse.

L’industrie est la mère de toutes les batailles et il n’y a pas d’industrie sans énergie abondante et bon marché. Voilà pourquoi le nouveau Gouvernement de Friedrich Merz en Allemagne a décidé de mettre sous le même ministère économie et énergie et de nommer à sa tête une cheffe d’entreprise, Katherina Reiche, ancienne Présidente du Directoire de Westenergie filiale d’EON. Parfois j’aimerais être Allemand. 

L’industrie est la mère de toutes les batailles. Voilà pourquoi aussi Donald Trump réhausse les droits douane sur l’acier et l’aluminium. Voilà pourquoi enfin Xi Jinping appelle à une industrie manufacturière plus forte pour faire avancer la modernisation chinoise. L’empire du milieu avance à toute vitesse dans la robotisation de son économie. Il faut s’attendre à voir déambuler les premiers robots humanoïdes dans nos rues dans quelques mois, mais ce n’est pas ce que je retiens en premier de la robotisation chinoise. La Chine a installé 51% des robots industriels fabriqués dans le monde en 2024. A fin décembre, la Chine comptait 470 robots industriels pour 10 000 employés dans l’industrie. C’était 1012, 429, 295 et 186 respectivement pour la Corée du Sud (n°1 mondial), l’Allemagne, les Etats-Unis et la France. La Chine est devenue n°3 mondial sur cet indicateur. Elle ne figurait même pas dans le top 20 en 2017. J’ai donc pris ma calculette. Le parc installé de robots industriels en Chine est de l’ordre de 5 000 000. Il y a là une stratégie à des années-lumière de notre système de pensée industriel et technologique.

L’industrie est la mère des batailles économiques et l’IA est en train de devenir l’une des toutes premières batailles industrielles. La France et l’UE sont déjà largement dépassées par les Etats-Unis et la Chine sur toute la chaîne de valeur. AWS, Microsoft Azure et Google Cloud Platform sont les leaders occidentaux du stockage de la data. Ils se fournissent en matériel auprès d’acteurs comme Dell, Hewlett Packard ou encore Hitachi. Les puces nécessaires aux calculateurs sont majoritairement fabriquées par Samsung, Intel, NVIDIA et TSMC. Les semi-conducteurs impliqués dans la fabrication des puces proviennent d’acteurs intégrés (Intel, Samsung, autres), de fonderies (TSMC, autres) ou de concepteurs fabless (NVIDIA, AMD, Qualcomm, autres). Les trois acteurs européens avec encore un rôle sont ASML (Pays-Bas), Infineon (Allemagne) et ST Microelectronics (France). 

Restons humbles. La capitalisation de NVIDIA s’élève à ~3400 milliards USD, celle de TSMC à ~1000 milliards USD, Infineon à ~50 milliards USD, ST Micro à ~20 milliards. Soitec, fleuron national, pèse pour environ 2 milliards USD. Il faut cumuler 1700 fois la valeur de Soitec pour atteindre celle de NVIDIA. Le train est irrattrapable. Il pose des questions de souveraineté nationale et d’indépendance européenne autrement plus compliquées à traiter que celles des masques ou du paracétamol pourtant déjà essentielles. La commission nationale que j’évoque plus haut est en train de passer totalement à côté du sujet. 

Il faut de l’énergie pour faire travailler une IA sur un calculateur et héberger la donnée. C’est le seul domaine où nous avons des capacités à offrir aux industriels du secteur. Et c’est ce qui explique largement le succès de Choose France. 21 des 41 milliards d’investissements annoncés à Versailles sont liés directement ou indirectement à l’IA. Les investisseurs viennent tous chercher la même chose : nos électrons. Ecoutez Sam Altman, PDG d’OpenAI répondre aux questions du Sénat américain. C’est riche d’enseignements et vous fera mieux saisir le tsunami en train d’emporter toute l’économie mondiale avancée. Eric Schmidt, ancien PDG de Google, pense que nous sous-estimons la révolution en cours. Surtout, nous n’avons aucune idée du chemin qu’elle nous fait prendre. Claude Opus 4 en phase de test a pris l’initiative de dénoncer ses utilisateurs aux autorités sans ordre humain. Peut-être avez-vous suivi la polémique suscitée par Sam Bowman, responsable de la sûreté chez Anthropic, société à l’origine de Claude. Elle est ici dans un podcast de deux minutes

Si l’IA est au cœur de vos préoccupations, venez sonner à notre porte. La communauté BlueBirds avec des capabilities IA grandit vite. Si au contraire tout cela vous paraît un peu lointain, ne manquez tout de même pas la dernière keynote de Google. Elle est toute récente et vous mettra à jour des dernières nouveautés en matière d’IA. Dans la dizaine d’innovations que Sundar Pichai et son équipe présentent, c’est VEO 3 qui m’a le plus impressionné. C’est fou, je vous laisse découvrir. 

Mai est derrière nous, ouf. Restent deux mois à travailler avant de redébrancher. « Que ce sera long! » penseront certains. « Que c’est court! » vous dis-je.

Nous tomberons d’accord au moins sur un point: quelle époque! 

Martin