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« Le monde change et on n’y comprend plus rien » nous dit Julien Devaureix dans son livre éponyme. Julien est aussi podcaster et anime une émission dont je jalouse un peu le taux d’écoute : SISMIQUE. Allez l’écouter, cela vaut le peu de temps qu’il vous reste après le travail, votre famille, vos amis, votre heure de vélo, la dernière série Netflix, le bonjour de politesse à votre voisin de palier et que sais-je encore.

Etant comme vous au milieu de la grande pelote de notre époque dont il faut bien reconnaître qu’il est difficile de démêler les fils – c’est l’image prise par M. Devaureix -, je suis de plus en plus intrigué par les contradictions qui, quand elles ne me font pas sourire, me donnent à me demander « où va-t-on ?». Je suis un indécrottable humain animé par le sens. Tant que vous ne m’aurez pas dit pourquoi je dois avancer, il est peu probable que j’entreprenne le moindre pas.

Nos contradictions sont partout.

Dans notre quotidien d’abord. Je dois aller faire les courses, mais pas en voiture, je risquerais de polluer davantage mon centre-ville et la planète avec. L’intention est louable, mais comment fait-on quand il s’agit de remplir le caddie d’une famille de cinq ? Comment se rendre en ville quand la circulation vous est interdite et que les transports publics sont en grève ou absents ?

Dans notre façon de consommer aussi. Les publicités sont partout nous enjoignant à acheter davantage. J’interviewais Criteo la semaine dernière dont c’est le métier. Mais le Gouvernement et un nombre croissant d’associations nous prônent l’exact contraire : consommer avec modération, ne pas fumer, diminuer notre consommation énergétique. Qui dit être sobre énergétiquement, dit moins consommer, moins bouger, moins vivre en quelque sorte ! Même notre Président nous a annoncé la fin de l’abondance dans ses derniers vœux, façon élégante de nous dire que nous consommerons moins. J’y reviens dans un instant. 

Dans notre projet collectif national ensuite. Cela ne vous aura pas échappé que nous Français sommes majoritairement opposés à la réforme des retraites en cours, mais pas au principe-même de la réforme. Réformer sans réformer en quelque sorte demandons-nous au Gouvernement. Que l’on soit pour ou contre, vous m’accorderez j’espère que nos injonctions contradictoires ne rendent pas la chose facile à nos gouvernants !

Enfin dans le projet de l’Union Européenne. Je suis un européen convaincu. Il nous faudrait plus d’Europe pour compter face à la Chine, aux US et accessoirement face à la Russie nous dit-on. Mais il nous faudrait aussi plus de souveraineté pour choisir librement notre politique économique, énergétique ou encore migratoire comprend-on. On ne peut pas avoir les deux concomitamment : choisir ensemble ou choisir seul. Allez expliquer cela au boulanger qui a vu sa facture d’électricité mettre en péril son commerce. Tout cela lui passe au-dessus de la tête et on le comprend bien aisément : il se rend rue de Bercy à Paris alors qu’il devrait aller à Bruxelles.

Pour votre serviteur qui fait de son mieux pour faire grandir BlueBirds et avec elle ses clients et sa communauté d’indépendants, une des plus grandes contradictions de notre société contemporaine oppose création de richesse et préservation de l’environnement.

Je le rappelle souvent dans ces lignes : dans le temps long, la croissance économique n’a fait que chuter depuis 40 ans. Elle tangente désormais les 1%. Les tendances longues s’inversent dans le temps long. Or rien n’indique que cette tendance soit susceptible de s’inverser même si notre économie se transforme à marche forcée en ce moment-même. Elle se transforme certes, mais elle ne grandit plus. Sans être économiste donc, juste en prolongeant un trait sur un simple graphique dont l’axe des abscisses représente les années et démarre en 1980, on peut sans grand risque faire le pari que la croissance continuera de décroître pour devenir tangentiellement nulle. Ou pire : d’autres personnes comme M. Jancovici nous alertent sur la décroissance à venir avec des arguments particulièrement convaincants.

C’est face à ce constat, une économie qui au mieux grandit de moins en moins, que nous rencontrons une première contradiction dans notre rapport aux mécanismes de création de richesse : aucun acteur économique ne fait le pari de l’absence de croissance. Aucun business plan ne compte pas se redresser ou continuer de grandir à 3 ans. Aucun investisseur n’investit sans se demander à quelle échéance il retrouvera son capital. Aucun particulier n’investit dans son logement sans espérer un jour une plus-value. Et pourtant. Pourtant nous continuons d’investir dans l’avenir même si cet avenir semble nous promettre un « PIB flat ».

Le flux de création de richesse étant ce qu’il est, nous prenons davantage le temps pour regarder qui en possède le stock. Et nous nous offusquons donc des comptes en banque de Bernard Arnaud ou d’Elon Musk. Cela fait davantage le buzz de se révolter contre les ultra riches que de s’offusquer du nombre de nos pauvres. Or ce ne sont pas tout à fait les mêmes enjeux. 9,3 millions de personnes en France vivaient sous le seuil de pauvreté en 2018 (source INSEE). Elles sont estimées aujourd’hui à près de 12 millions. Pourquoi donc notre économie crée-t-elle davantage de pauvres qu’elle ne grandit elle-même ? En toute sincérité, je ne sais pas. J’aimerais tant avoir la réponse. Elle nous donnerait quelques pistes pour maintenir une paix sociale que nous pressentons être de plus en plus fragile. Car soyons certains que cette population tout à la fois pauvre et grandissante se rappellera à nous de plus en plus souvent et d’une façon de plus en plus violente.

A vrai dire, j’ai un élément de réponse à ma question ci-dessus. Saviez-vous que la France a créé près d’un million d’emplois depuis 2015 (source INSEE) ? Mais si tel est le cas, pourquoi l’économie a-t-elle si peu crû ? Où sont les heures et les salaires qui vont avec ? Où s’en est allée la création de richesse ? Il n’y en a pas eu parce que nous avons collectivement travaillé moins et/ou moins bien. Etienne Grass le rappelait très bien dans un article des Echos ce mois-ci : La productivité, cette grande oubliée | Les Echos. Pour le dire autrement, nous avons réparti avec un million de travailleurs en plus à peu près la même création de richesse. On comprend alors aisément le sentiment d’appauvrissement de la population, y compris de celle qui travaille. C’est là aussi une autre des contradictions de notre pays : nous avons créé de l’emploi en masse mais sans créer de richesse.

Résumons : la croissance de notre économie diminue depuis 40 ans, il n’y a pas de signal systémique d’inversion de tendance et cette croissance molle crée des pauvres par millions, avec ou sans emploi. Les plus pessimistes de nos lecteurs m’auraient rappelé le stock de dettes publiques qu’il a fallu constituer pour maintenir notre économie à flots ces trois dernières années, mais je tiens à conserver mon image d’optimiste à tous crins.

Et puis est venue se brancher notre prise de conscience du réchauffement climatique et de l’effondrement de la biodiversité. Les solutions sont connues : devenir moins dépendants d’une drogue dure, les hydrocarbures, et redonner à la planète des espaces de liberté. Que l’homme s’agite moins. Ou qu’il y en ait moins, des hommes. Il n’est plus une seule journée sans qu’un nouveau projet pour sauver la planète n’émerge en Europe. Mieux vaut tard que jamais, alors fonçons !

Fonçons, mais ne nous leurrons pas. Aucune économie sur la planète n’a encore prouvé qu’il existait un modèle vertueux sur le plan économique et environnemental. (J’ai une lueur d’espoir en observant le Costa Rica, mais il faudrait regarder de plus près). Beaucoup font ce pari que ce modèle encore à inventer existe, y compris moi. Mais il y a de quoi douter, ne croyez-vous pas ?

Sans aucun doute en revanche, certains d’entre nous ferons passer la planète avant tout le reste. Avant l’économie bien entendu, mais également avant le social. Peu importe si nos centre villes se vident d’un BHV qui ne peut plus accueillir ses clients. Peu importe que nos parents malades ne puissent se rendre chez leur médecin dans les ZFE parce que leur véhicule, trop vieux et pourtant en parfait état de fonctionner, n’y est plus autorisé. Ils trouveront bien une solution ! Peu importent les cavalcades en mobylette de nos adolescents, ils marcheront en se tenant la main ! Peu importent nos vacances à l’étranger ou au ski, nous rendrons davantage visite à nos voisins. Peu importe si des projets d’usines sont reportés ou abandonnés et les emplois qui ont avec. Peu importent le chômage et la pauvreté. Peu importe si nous dépendons un peu plus chaque jour d’acteurs étrangers à qui nous espérons pouvoir tout acheter tant que notre foncier reste vert. Peu importe si économiquement trop faibles, nous devenions dépendants du bon vouloir des Etats-Unis et de la Chine, de leurs valeurs, de leurs lois et de leurs armes. Peu importe les nations et les frontières, l’atmosphère, la flore et la faune ne les connaissent pas. Peu importe tout cela si nos enfants, comme leurs ancêtres avant eux et toutes les générations qui les suivront, pourront continuer d’observer éberlués la danse majestueuse des animaux. Peu importe tout cela si la Terre cesse de se réchauffer et acquiert le temps de reproduire les ressources que nous lui ponctionnons chaque année. Elle est là la grande opposition de notre ère.

Pendant plus d’un siècle, nous avons été les spectateurs, parfois acteurs, de deux grandes visions de la société. L’une, plus sociale, semblait se préoccuper davantage de la répartition de richesse. La seconde, plus libérale, se préoccupait davantage de créer cette richesse au motif que sans richesse il n’y a rien à partager. Cette opposition devient moins nette en même temps que les principaux partis politiques qui incarnaient ces visions, PS et LR, se font de moins en moins présents.

Deux nouvelles visions semblent émerger. L’une recherche une forme d’équilibre entre économie, social et environnement. Oh bien entendu, au sein de cet équilibre chacun d’entre nous aura une préférence pour le rose ou le bleu. Mais c’est bien la couleur verte qui structurera les choix les plus engageants de notre société. Cet équilibre sera précaire et je me demande même s’il existe. Ce sera l’objet de la prochaine saison de notre podcast « Histoires d’Entreprises » en préparation. L’autre vision, plus radicale, se préoccupera d’abord de la planète. Ceux qui l’incarnent ont eux beaucoup moins de doutes. Et au fond, leur cause est juste : je veux quitter ce monde plus beau qu’il ne l’était quand j’y suis né. Je suis certain que vous aussi.

Dans tous les cas, nous devrons composer avec une création de richesse nulle ou limitée dans le meilleur des cas. Préparons-nous à la frugalité nous dit notre Président et soyons heureux dans la frugalité nous dit Jean-Baptiste de Foucauld dans « l’Abondance frugale ».

Mais surtout, soyons heureux !

Martin