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Avoir 20 ans et la vie devant soi

Parlons d’argent puisque l’inflation reste une des toutes premières préoccupations des Français et des chefs d’entreprises.

J’ai suivi d’un œil un peu distant la commission d’enquête sénatoriale devant déterminer la chaîne de responsabilités dans l’allocation du fonds Marianne. Comme souvent, notre secrétaire d’État a été douée : dans la position qu’elle avait décidé de prendre et dans sa façon de la défendre. Mais j’ai trouvé encore plus intéressant ce qu’elle ne disait pas.

De quoi parle-t-on dans cette affaire ? De 325 000Euros et de la façon dont ces fonds ont été alloués.

« 300K€, la somme est énormissime ! » rappelle Mme Schiappa dans l’un des emails à son cabinet. Mais qui peut penser que 300K€ peut avoir un quelconque impact sur le séparatisme en France ? 300K€, pour un seul homme ou presque, cela attise les convoitises. Pour la cause défendue à l’échelle d’un pays, cela revient à vouloir lutter contre la montée des eaux avec un seau en bord de plage. Non Mme Schiappa, 300K€ pour lutter contre le séparatisme, ce n’est pas énormissime, c’est beaucoup trop peu. Et donc totalement inutile. Dans tous les cas, avec ou sans les combines de M. Sifaoui, cet argent s’apprêtait à être gâché.

En regardant le spectacle des sénateurs, de la Ministre, de M. Sifaoui, des témoins, de toutes celles et ceux qui ont la charge d’animer cette commission, je pensais au coût d’une telle commission. Entre la préparation des auditions, les auditions elles-mêmes, leur analyse et enfin la rédaction du rapport, une chose est certaine, on ne parle plus de 300K€ envolés, mais de bien plus.

Quant à la chaîne de décisions qui a conduit à nourrir deux hommes avec de l’argent public sans aucun résultat, on est en droit de se demander comment elle peut être aussi défaillante après l’enquête sénatoriale et la loi qui en a suivi sur l’utilisation des prestataires de services par l’Etat. Pas de responsabilités, pas de process, pas d’objectifs sérieux, et hop, plus d’argent !

De l’argent, public, il y en a encore heureusement et les marchés continuent de prêter à l’Etat. Mais ils regardent chaque jour d’un peu plus près notre solvabilité. Standard & Poor’s a finalement laissé inchangée la notation de notre dette souveraine tout en l’orientant à la baisse. Fitch a elle dégradé son évaluation d’un cran à AA- il y a quelques semaines. L’argent nous coûtera donc un peu plus cher à emprunter, phénomène amplifié par la nouvelle hausse des taux directeurs de BCE. Si vous ne le saviez pas déjà, le coût de la dette a augmenté de 15Md€ en 2022. Quand 15Md€ n’émeuvent pas grand monde, alors on se doute bien que 300K€ envolés ne sont là que pour amuser la galerie. C’est vrai que les questions et remarques du M. Raynal et de M. Husson sur Youtube m’ont parfois prêté à sourire. Peut-être vous divertiront-elles aussi !

J’aurai bientôt 50 ans, je n’ai jamais connu que cela : les dépenses sans cesse en augmentation d’un Etat qui malgré un niveau d’imposition parmi les plus élevés au monde n’est plus capable d’équilibrer ses comptes depuis le premier choc pétrolier. Nous nous sommes collectivement habitués à cet abandon qui a conduit à une dette publique de 3000Md€. 3000Md€, c’est la montagne de l’égoïsme de notre génération vis-à-vis de celle qui nous suit.

Non contents de leur donner en héritage une dette écologique, nous léguons aux générations qui nous suivent les factures de notre confort d’aujourd’hui. A vrai dire, ces deux dettes, écologique et financière, sont liées. Bercy indiquait il y a quelques jours que la décarbonation de l’industrie française nécessiterait 50Md€. Une part de cet investissement est fatale dans la mesure où certains actifs de production nécessiteront d’être naturellement renouvelés. Ils profiteront alors d’avancées technologiques en matière de décarbonation. Pour le reste, c’est-à-dire pour tous les investissements qui n’auraient pas besoin d’être entrepris pour des raisons économiques et qui donc seront largement financés avec les deniers publics, comme aucune nouvelle dépense de l’Etat n’est financée faute d’équilibrer ses comptes, c’est la poche de nos enfants que nous sommes en train d’évoquer. Ce sont nos enfants qui paieront notre décarbonation, pas nous.

Mais où va notre argent ? C’est ce que s’est demandé Agnès Verdier Molinié dans son livre éponyme. Partageant les interrogations de l’auteur, j’ai lu son ouvrage. Allez le lire, vous en sortirez un peu plus éveillé. Même sans rien comprendre aux finances publiques, vous comprendrez. Parce qu’en plus d’avoir à financer des dépenses publiques parmi les plus élevées au monde au regard de notre PIB (58,2%), nous ressentons malgré tout que beaucoup de services publics dysfonctionnent : la justice, la santé, l’éducation pour ne citer qu’eux.

Si les livres d’économie vous enquiquinent, dites-vous d’abord que c’est normal ! Allez donc directement au chapitre 28 où l’auteur évoque les files d’attente pour les passeports. Ces seules pages valent les 20€ que vous aurez déboursés. Mon fils aîné qui devait partir étudier en Californie en septembre prochain ne partira finalement pas : son passeport n’a pas pu être émis à temps pour enchaîner ensuite la procédure d’obtention de visa étudiant dans les délais impartis. Manquer l’opportunité de se retrouver au milieu de la tech mondiale pendant quelques semaines pour des questions de passeport, vous m’accorderez j’espère que c’est un peu ballot.

Alors quand notre Ministre de l’Economie annonce le mois dernier « l’accélération du désendettement de la France », j’ai cru d’abord avoir mal lu son communiqué. Evoquer « une accélération du désendettement de la France » alors même que celle-ci n’arrête pas d’augmenter (+126,4Md€ en 2022) et parler d’un montant d’économie de 10Md€ –  soit moins de 1% du budget – alors même que l’inflation dépasse 5%, me font penser qu’il est encore loin le temps où ces sujets seront sérieusement traités.

Aidée de l’inflation, la trajectoire reste pour l’instant à l’augmentation des dépenses publiques. Cette trajectoire de dépenses rend impossible un changement de trajectoire du niveau de prélèvements obligatoires. Ce niveau affecte la compétitivité de nos entreprises et le pouvoir d’achat des ménages. Quand le chef d’entreprise paie 100Euros à la rémunération de son salarié, ce dernier en touche 47 en moyenne en France. Ce 47 est de 59 en moyenne en Europe et 65 au sein de l’OCDE (source : où va notre argent ? chapitre 9). Ces écarts au sein même de l’Europe donnent quelques espoirs en matière de pouvoir d’achat pour nos concitoyens.

Ah le pouvoir d’achat ! J’ai demandé à OpenAI s’il avait des idées géniales pour que nous puissions tous nous loger décemment et faire les courses sans avoir les yeux rivés sur les étiquettes des prix. Sa réponse ne m’a pas convaincu. Partagé entre angoisse et espérance, j’attends donc la sortie de la prochaine version de ChatGPT dont on nous prévient qu’elle sera révolutionnaire. (Comme si la version 4.0 n’était pas déjà un tremblement de terre). Espérance donc d’avoir une réponse enthousiasmante. Ce faisant, l’IA remettrait en question l’utilité de quelques fonctionnaires et permettrait de mieux rémunérer les autres ou d’en embaucher ailleurs: il n’y a pas que dans le privé que l’IA peut nous faire gagner en productivité. Angoisse également qu’une réponse intelligible et acceptable socialement, il n’y en ait pas. En attendant, à vous Casino, Carrefour, Intermarché et consorts de faire le job ! Et aux Français de se serrer un peu plus la ceinture! C’est du moins ce que demandent les pouvoirs publics.

Alors vous me direz « je râle » en bon Français. N’ayant pas de prise sur ce constat, je l’accepte bien volontiers. Et comme vous au fond, j’en profite, conscient de ma chance. « La France est un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer » nous disait Sylvain Tesson. Comme il a raison ! La France est un paradis !!

J’assistais hier à une conférence donnée par André Comte Sponville sur invitation du cabinet d’avocats NMCG. Cela fait du bien d’écouter un homme résolument optimiste qui pense l’avenir du monde. Il planchait sur le thème « Individualisme, télétravail et Intelligence Artificielle : où allons-nous ? ». En introduction, il s’est d’abord demandé « où en sommes-nous ? ». Et le philosophe de nous rappeler qu’en dépit de ce que nous lisons quotidiennement dans les media, le monde va plutôt bien si on lit l’histoire du monde sur une échelle de temps longue. « Regardez comme la pauvreté a reculé depuis 40 ans ! » s’est-il exclamé. Et quand arriva la conclusion, plutôt que de répondre à la question initiale, le philosophe nous a tous demandé : « où voulons-nous aller ? »

Et vous alors, où souhaitez-vous aller ?

Mon fils, lui, n’ira pas étudier aux US. Rien de grave.

Ma fille en vacances s’en est allée quant à elle danser et chanter aux Solidays. Les 3000Md€ de dette quand j’évoque le sujet avec elle à son retour ? Elle lève les yeux au ciel et me lance un « Papaaaaa ! ».

C’est cela avoir 20 ans et la vie devant soi.

Martin