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Quitter son transat

L’avantage de couper vraiment quelques jours en plus de se reposer et de profiter de sa famille et de ses amis, c’est que la vie des affaires vous touche moins. Vous regardez le ciel rougeoyer et les cendres des pins des Landes se déposer dans le jardin, voilà qui attire votre attention. Vous vous demandez à quelle sauce Parcoursup finira d’avaler l’avenir proche de votre fille, voilà qui vous préoccupe vraiment. Le reste, la guerre à nos portes, le blocage des ports chinois, le risque de pénurie de gaz, les prix fous de l’énergie sur les marchés spot, l’inflation, notre faute morale d’en limiter les effets avec les revenus futurs de nos enfants, la balance commerciale qui s’effondre, les taux d’intérêt qui remontent, le yo-yo du chômage, bref, l’agitation du monde, tout cela apparaît un peu lointain, lointain comme ces fumées dégagées par l’Etna et le Stromboli qui ravissaient mes yeux cet été depuis Panarea et Lipari.

Un jour, je m’installerai avec vue sur mer. Dussé-je dormir dans une cabane, mais je veux entendre le bruit des vagues et du vent du matin au soir et du soir au matin. Aguicher cette mouette qui lorgne sur ma tartine de beurre. Voir les spectacles des courses du soleil et de la lune sur l’océan, rasséréné de savoir qu’elle recommenceront le lendemain, tout à la fois identiques et différentes. Vivre au contact des éléments, loin, très loin de mon téléphone. Me nourrir de lecture et d’écriture plutôt que de me faire dévoré par mes apps. J’ai donc cherché quelques instants « cabane avec vue sur mer » depuis seloger.com. Allez savoir pourquoi, je n’ai pas trouvé…

Au milieu de cette quiétude que m’a inspirée l’Italie des îles éoliennes, j’ai lu une œuvre que je vous recommande à tous. Autant vous prévenir, si vous n’aimez pas la politique économique, vous serez bien mieux installés avec un roman ou à lire le CV de Dieu de Jean-Louis Fournier qui nous raconte comment Dieu se cherche un nouveau travail, lassé de ne plus rien avoir à faire après la Génèse. Si comme moi vous cherchez les explications à certains des grands maux du pays, courrez vous acheter La Désindustrialisation de la France par Nicolas Dufourcq, CEO de BPI France. C’est moins drôle que d’écouter Dieu passer au crible des questions d’un DRH, mais c’est plus instructif. Lire cet essai et les témoignages de chefs d’entreprises, syndicalistes, fonctionnaires, banquiers et économistes, c’est un peu lire notre histoire, nos abandons et notre drame socio-économique des 30 dernières années. Mais lire La Désindustrialisation de la France, c’est aussi apercevoir un peu plus que la lumière au bout du tunnel et mesurer que de nombreux indicateurs sont en train de repasser en vert, comme le solde ouvertures-fermetures d’usines désormais positif depuis 2016.

Il faudra des décennies pour reconstruire une industrie et retrouver un peu de cette autonomie que nous avons laissée filer. Et comme construire prend toujours plus de temps que déconstruire, celles et ceux qui me lisent ne seront probablement plus de cette Terre ou s’y accrocheront vaille que vaille le jour où nous aurons retrouvé la part que l’industrie pesait dans le PIB du temps de nos parents, si jamais nous la retrouvons un jour. Encore une histoire « d’histoire longue ».

Les défis d’aujourd’hui n’étant pas ceux d’hier, notre paysage industriel n’aura rien à voir avec ce qu’il était quand Pechiney ou encore Alstom participaient de la fierté et de l’emploi nationaux. Il sera évidemment plus respectueux de l’environnement, plus technologique, plus spécialisé. Les méga usines tireront l’activité des plus petites. Mais encore faudrait-il que nous le voulions vraiment. Nous sommes de plus en plus nombreux à nous opposer à toute forme de développement économique au motif que notre planète souffre de l’activité humaine. Croire qu’il suffira d’une politique RSE efficace et transparente pour répondre à ces oppositions serait bien naïf. Il faudra prouver qu’une croissance verte est vraiment possible, pas seulement y croire.

A court terme, à 800€ le MWh d’électricité comme en ce moment (source : Epex Spot) contre 80€ il y a seulement quelques mois, l’enjeu des prochains mois est moins de compter les usines qui s’apprêtent à ouvrir sur notre sol que de savoir combien vont résister et combien de temps.

Cela m’a donné envie de quitter mon transat.

Bonne rentrée,

Martin