Ce que ne change pas l’élection du Président Trump
Nous nous interrogeons tous sur les conséquences de l’élection de M. Trump. Nous nous interrogeons moins sur ce qui ne changera pas. Je vois au moins un cas : celui de la politique industrielle américaine et toutes ses conséquences sur l’industrie européenne et française.
La politique industrielle américaine fut résumée sous la présidence de M. Biden en quatre mots : « Small Yard, High Fence ». Cette stratégie visée contre la Chine impacte toute la planète, y compris l’Europe.
M. Trump dans son premier mandat avait été le premier à interdire la commercialisation de Huawei aux Etats-Unis. La régulation des investissements directs étrangers aux US fut considérablement enrichie en 2018 avec le Foreign Risk Review Modernization Act (FIRRMA). M. Trump était alors Président. M. Biden renforça les prérogatives du FIRRMA en donnant davantage de pouvoir au Committee on Foreign Investment in the United States (CFIUS). Ces acronymes à rallonges chers à nos voisins outre Atlantique visent d’abord à limiter l’acquisition de technologies sensibles développées aux Etats-Unis par des capitaux étrangers.
A vrai dire, les démocrates si chers aux Européens sont allés bien plus loin que M. Trump version I. Les Etats-Unis sous l’ère Biden ont déployé tout un arsenal de mesures pour simultanément se protéger et que leur industrie s’épanouisse.
C’est M. Biden qui établit les New Exports Controls en 2022. Les restrictions que s’imposent les Etats-Unis sur leurs propres exportations de technologies de pointe concernent les semi-conducteurs, l’IA, la biotechnologie ou encore l’informatique quantique.
Le CHIPS and Science Act fut promulgué en 2022 sous l’ère Biden également. Là, ce sont plus de 200 Md$ d’argent public prévu au développement d’usines de semi-conducteurs mais aussi dans l’IA, l’informatique quantique et dans d’autres domaines technologiques. Le CHIPS and Science Act vise surtout à réduire la dépendance des Etats-Unis vis-à-vis de Taïwan.
Les Etats-Unis continueront par ailleurs de renforcer leurs chaînes d’approvisionnement dont ils se jugent devenus trop dépendants. En plus des semi-conducteurs que nous venons d’évoquer, ils ciblent trois domaines : les métaux et terres rares (ex : Projet Mountain Pass, Californie), les batteries pour véhicules électriques et le stockage d’énergie (ex : American Battery Materials Initiative pour la production et le traitement sur le sol américain de lithium, nickel et cobalt) et les médicaments et les produits pharmaceutiques (ex : renforcement du BARDA, Biomedical Advanced Research and Developement Authority).
Saviez-vous que 40% de l’uranium enrichi faisant tourner nos centrales nucléaires provient de Russie et du Kazakhstan ? Imaginez un peu le chef du Kremlin user de cet interrupteur. La nuit serait bien plus noire qu’elle ne l’est déjà. Les Etats-Unis dépendent eux à hauteur de 25% de l’uranium enrichi russe. Ils construisent de nouvelles installations d’enrichissement afin de se défaire de leur dépendance. De notre côté, Orano augmentera ses capacités d’enrichissement sur le site du Tricastin pour diminuer notre niveau de dépendance de 10 points à partir de 2028 pour atteindre 30%. Est-ce suffisant ? A vous de vous forger une opinion. Les Etats-Unis ont répondu à leur manière à la question. Ce sera 0%.
C’est aussi l’administration de M. Biden qui promulgua l’Inflation Reduction Act. L’IRA est le plus grand programme américain de soutien à l’industrie de son histoire. Les 400 Md$ prévus à l’IRA seront alloués essentiellement sous forme de crédits d’impôts. Il est difficile de juger de la véracité de ce chiffre et de mesurer son usage. Ce qui est certain, c’est l’énorme appel d’air qu’il est train de susciter contre les projets d’investissements en Europe. Ils sont nombreux les industriels européens à avoir annoncé bénéficier du programme : Siemens Energy, Volkswagen, Stellantis, BMW, Orsted, Enel, Solvay pour ne citer qu’eux.
Il ne vous aura probablement pas échappé que les Etats-Unis ont élevé les droits de douanes à la vente de véhicules électriques manufacturés en Chine à hauteur de 100%. Ce taux est au maximum de 35% en UE. En Europe, ou bien on élève des barrières douanières trois fois moins élevées qu’Etats-Unis, ou bien on écrit des rapports comme celui de M. Draghi. Les mots, c’est bien. Les actes, c’est mieux.
Quand commencera-t-on vraiment à réagir à la politique industrielle américaine ?
En attendant, Volkswagen organise le plus grand plan de restructuration de son histoire en Europe alors qu’il investit aux US. En attendant, Michelin ferme deux usines à Cholet et Vannes alors que le Groupe investit aux US. En attendant, le solde ouverture-fermeture d’usines est de nouveau négatif depuis cet été en France. Il y a un lien de cause à effet évident entre politique industrielle américaine, risque de désindustrialisation allemand et désindustrialisation avérée en France.
M. Trump et M. Biden, c’est bonnet blanc et blanc bonnet pour l’industrie européenne. Ils nous taillent des croupières.