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J’ai toujours été un européen convaincu.
Depuis que je m’intéresse de près à l’avenir de notre industrie, je pose un regard nouveau sur l’Union Européenne. L’âge doit aider. Avec le temps, on est plus lucide je crois. Plus tolérant aussi.
La disparation de Jacques Delors, père de l’UE telle que nous la connaissons aujourd’hui, m’incite davantage à la regarder cette UE. Et puis le moment me paraît propice. Les élections européennes s’approchent vite.
Relire l’histoire politique de Jacques Delors, c’est un peu relire l’histoire de la construction européenne dans une période où beaucoup de choses se sont accélérées. L’Acte Unique en 1986, Maastricht en 1992, Schengen en 1995, la naissance de l’Euro en 1999, le projet de Constitution Européenne avorté qui donna naissance quelques mois plus tard au traité de Lisbonne en 2007.
Un peu plus de trente ans se sont écoulés entre la promesse offerte par Maastricht et la réalité telle que nous la vivons ou la percevons. Plutôt donc que me demander bêtement si je suis un peu, beaucoup ou passionnément européen comme on ôte les pétales d’une pâquerette devant sa bien-aimée, je me demande de plus en plus ce que l’UE apporte à notre industrie. C’est plus étroit comme couloir de pensée, je vous l’accorde, mais cela me permet de me focaliser sur un sujet déjà bien compliqué que je commence à apprivoiser. Et puis mon courage a des limites à décortiquer les forces et les faiblesses d’une organisation aussi critiquée que nécessaire me semble-t-il.
La construction de l’UE a-t-elle donc été un des moteurs de notre industrie européenne ?
Au-delà des frontières orientales de l’Allemagne mais toujours en Europe, très certainement.
En Allemagne, cela se discute.
En France, probablement pas.
Les Français sont souvent trop critiques à l’égard de l’UE. Ils la jugent responsable de la plupart de leurs maux, cela leur évite de régler ceux dont ils sont responsables. Nous avons tant de sujets à traiter par nous-mêmes qui attendent dans les cartons ! Mais nous ne devrions pas non plus nous interdire de faire la critique de l’UE au motif que nous la critiquons le plus souvent à tort.
Notre Europe actuelle travaille surtout au bénéfice des consommateurs et de la planète. C’est déjà pas mal.
S’agissant de la planète, l’Europe tente d’être exemplaire. Pour la plupart des citoyens, le Green Deal, le Net Zero Industry Act, la Nature Restoration Law ou encore le REPowerEU ne leur disent pas grand-chose. Les textes sont discutés dans un autre pays où l’on parle français bien sûr, mais aussi flamand en plus de l’anglais – autant dire le chinois – et puis ils sont techniques donc ennuyeux. Mais ces textes démontrent surtout la volonté d’un continent entier de réduire son impact ou de ne pas en avoir du tout sur l’environnement. Qui pourrait s’élever contre une telle intention aujourd’hui ?
En politique industrielle comme partout ailleurs, le diable est dans le détail. La taxonomie environnementale européenne fiscalise davantage les sociétés qui produisent sur notre sol que les sociétés manufacturant à l’étranger. Nous nous imposons une exemplarité que nous n’imposons pas à nos « partenaires ». Ce faisant, nous privilégions l’épanouissement commercial, industriel et économique de sociétés non européennes. Pourquoi la protection de l’environnement devrait-elle être au détriment de l’industrie en Europe et donc de l’emploi et donc de ce qui finance les 2/3 de la protection sociale en France ? Il existe un chemin où contraintes environnementales imposées à tous et développement de l’industrie en Europe vont de pair, mais ce n’est pas le chemin que l’UE a décidé de poursuivre.
Toutes les sociétés qui passent par les fourches caudines de l’organisation anti-trust de Bruxelles vous le diront. A Bruxelles, on est beaucoup plus préoccupé de savoir si en croissant vous obtiendriez « trop » de parts de marché plutôt que de savoir si vous survivrez à terme aux assauts inlassables de vos concurrentes américaines et chinoises sur ces mêmes marchés. A Bruxelles, on interdit la fusion de Siemens avec Alstom comme on interdit quotidiennement à d’autres sociétés de grandir par fusion sous le prétexte de la protection des consommateurs et en négligeant la menace des géants chinois ou américains. L’UE freine, parfois empêche en conscience la construction de champions économiques européens de taille mondiale qui auraient pu à leur tour tirer vers le haut les écosystèmes d’ETI et de PME du continent.
En même temps que nous empêchons la création de leaders industriels européens, nous ouvrons en grand les portes de nos marchés aux industriels étrangers. Si nous voulons maintenir nos emplois industriels en Europe ou les faire revenir s’agissant de la France, et en l’absence d’une OMC dont la Chine et les Etats-Unis font désormais peu de cas, il faut drastiquement revoir la manière avec laquelle l’UE envisage les échanges commerciaux et technologiques avec ses partenaires. Le tsunami actuel des véhicules électriques chinois vendus en Europe est caractéristique de la naïveté de l’UE en matière de théorie économique au XXIème siècle et de l’absence de pensée long terme en matière de souveraineté industrielle.
Je n’ai pas de mots assez durs ici pour qualifier l’irresponsabilité et parfois l’absence pure et simple du projet industriel de l’UE.
Les plus européens de ceux qui me lisent se diront « peu importe que les usines se trouvent en Allemagne, en France ou en Hongrie ou BYD a choisi de s’installer, l’essentiel est d’assurer un tissu industriel suffisant en Europe ». Je ne vois aucune politique industrielle d’envergure avec une telle intention. La voyez-vous ?
Pour qui, comme Jacques Delors, pense l’UE non pas comme une nation mais comme une fédération d’Etats-nations, penser la souveraineté industrielle à l’échelle de la nation est légitime. Or si nous disposons en France de nombreux leviers pour réindustrialiser le pays, l’UE en possède autant sinon plus. Un exemple ? Il nous faut simplifier nos procédures administratives et réglementaires. Notre ministre de l’Economie et de la Souveraineté industrielle a lancé une initiative dans le domaine il y a quelques semaines. L’intention est louable mais elle ne servira pas à grand-chose : la plupart de nos normes et règles, en plus d’être croissantes en nombre, sont désormais européennes. Le sujet se discute à Bruxelles, pas ou si peu à Paris. Comme beaucoup d’autres sujets. De fait, nous avons transféré à l’UE de nombreuses compétences pour reconstruire une industrie spécifiquement en France.
« Jacques Delors a posé les fondations d’une Europe qui s’est retournée contre les nations » disait Stéphane Rozès dans le Figaro le 29 décembre dernier. En matière industrielle, elle s’est retournée contre elle-même.
Martin
Cet article consacré au thème « Union européenne et industrie » a été repris dans l’ouvrage Réindustrialiser – Les leviers pour une renaissance industrielle française, publié aux éditions Dunod.