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Une révolution sociale made for profit

Me demandant comme à l’accoutumée ce qui m’avait le plus marqué sur le plan socio-économique ce dernier mois, je me suis arrêté sur la descente en mars des ventes de voitures électriques en Europe : -11%. Mais vous connaissez la musique maintenant. 2035 frappe déjà à notre porte. Face à l’arrêt des subsides par l’Allemagne et la diminution de celles par la France passées de 5000 à 4000€ pour compenser l’écart de prix électrique versus thermique, le consommateur ne suit pas.  Pour la première fois, les parts de marchés du VE ont donc diminué en Europe pour atterrir à 13%.

Ils seront des millions à vouloir s’acheter une voiture en 2035 sans que leur portefeuille ne le leur permette si les dynamiques de marché en cours perdurent jusqu’à la date butoir. Je crois donc de moins en moins cette échéance de 2035 sans aménagements législatifs ou réglementaires par l’UE, à moins peut-être que l’industrie chinoise automobile n’arrive à servir toute l’Europe. Leur avantage prix est de l’ordre de 7000€ aujourd’hui. Mais à quel prix industriel ? Nous qui n’avions pas vu venir la vague de désindustrialisation qui a vidé le pays de ses usines de 1980 à 2020, nous ne pourrons pas dire cette fois que nous n’avions pas été prévenus. Il suffit d’écouter M. Tavares et M. de Meo pour cela. Je suis un garçon optimiste : nous retrouverons la raison dans quelques mois, peut-être même dès juin prochain.

Le secteur automobile européen est à bien des égards une boussole pour notre économie et notre industrie. Elle vit tous les changements de notre siècle. Je l’observe de près. La société que je dirige la sert régulièrement. J’ai donc suivi comme vous le vote à l’AG de Stellantis de la rémunération de M. Tavares. Beaucoup d’entre vous ont retenu un seul chiffre : 36M€. Peu ont regardé le pourcentage d’accord attribué par les actionnaires du Groupe à son principal dirigeant au moment de la délibération sur son package de 2023: 70%. Nos démocraties envieraient un tel score lors de leurs principales échéances. On ne pouvait envoyer plus clair message : « Merci, bravo, continuez ».

Je comprends bien entendu la polémique, vous excuserez j’espère ici ma couardise de ne pas partager avec vous ce que j’en pense vraiment. A vrai dire peu importe : les applaudissements des uns et les cris de colère des autres ne changeront rien à l’affaire. C’est fait.

J’ai tout de même un regret en lisant les réactions des uns et des autres. En mesurant l’écart de rémunération entre le n°1 de Stellantis et celui de ses salariés en plus du nôtre, nous avons eu le débat que nous chérissons tous (ou presque). Qu’est-ce qui justifie un tel écart ? Les uns avanceront la création de richesse que le Groupe doit largement aux décisions prises par son PDG, les autres avanceront que tout l’or du monde aux actionnaires ne justifiera jamais une telle inégalité de revenus entre salariés et le premier d’entre eux. Au risque de choquer, et pardon si je heurte ici quelques sensibilités, nous ratons me semble-t-il l’essentiel.

La principale question me semble plutôt être : « qu’est-ce qu’une bonne rémunération pour les salariés de l’entreprise ? ». Ou pour enfoncer le clou, « qu’est-ce qu’une bonne rémunération pour les salariés de l’entreprise indépendamment de celle de son équipe dirigeante ? ». Si les salariés de l’entreprise se sentaient eux-mêmes correctement rémunérés, le package de l’équipe dirigeante serait-il objet de tant de discussions ? Oh, elles iraient toujours bon train c’est certain. Mais elles seraient plus apaisées.

Le package acquis par M. Tavares en 2023 ne montre pas seulement à quel point sa richesse est devenue supérieure à celle de tout un chacun, il ne montre pas seulement un gap de salaire, il nous rappelle aussi comment nos concitoyens sont rémunérés, il nous rappelle leur niveau de vie. Il est faible. Beaucoup d’entre eux n’arrivent plus à joindre les deux bouts. Un Français sur trois a moins de 100 Euros sur son compte bancaire le 10 du mois. Un Français sur 10 est déjà à découvert à cette date. Ce débat-là, lui, n’a pas assez lieu. Tout au plus évoque-t-on la smicardisation de nos salariés comme l’a fait notre Premier Ministre le 18 avril dernier sur BFM TV. Cela dit en passant, M. Tavares le sait mieux que la plupart d’entre nous. Il a versé une prime de 4300Euros ou plus à tous ses salariés au titre de l’exercice 2023.

Il faut donc souligner le pas de géant qu’a annoncé ce mois-ci Michelin en définissant un « salaire décent » pour ses salariés à travers le monde. En moyenne, celui-ci représente 1,5 fois à 3 fois le salaire minimum dans les pays concernés. Le SMIC est de 21 203€ au moment où j’écris ces lignes. Le salaire décent chez Michelin sera de 25 356€ à Clermont-Ferrand et de 39 638€ à Paris.

Une telle décision de la part de M. Menegaux et de M. Chapot qui dirigent ensemble Michelin dit beaucoup de choses.

D’abord s’il fallait le rappeler qu’on ne vit plus « décemment » avec un SMIC en France. On comprend mieux dès lors les difficultés de nos citoyens à vivre et assurer le bas de la pyramide Maslow: se loger, se nourrir, éduquer ses enfants, se vêtir.

Ensuite que l’écart entre salaire décent et SMIC se compte en milliers d’Euros en province, parfois même en dizaine de milliers d’Euros si l’on vit en famille dans la capitale. Un SMIC unique en France a-t-il encore du sens ?

Enfin, la mesure chez le manufacturier de pneus concerne 5% des salariés dans le monde et été mise en place à partir de 2021. Elle a donc eu une incidence marginale sur sa structure de coût. Même si on aime partager comme chez Michelin, encore faut-il le pouvoir. Il faut vraisemblablement être mondial pour pouvoir arbitrer sa masse salariale entre différentes zones du monde et offrir un salaire décent à toutes celles et ceux qui figurent sur le payroll. Une telle générosité sur les salaires a ses contreparties : Michelin peut diminuer ou arrêter la production sur certains sites quand il l’augmente ailleurs. Le Groupe a annoncé la suppression de 1530 postes en Allemagne. Beaucoup d’entreprises françaises n’ont pas de telles marges de manœuvre.

La rémunération de M. Tavares a masqué un juste débat. La mise en place d’un salaire décent par M. Megenaux a au contraire mis les pieds dans le plat. Je formule donc ici deux vœux. Que les salariés de nos entreprises puissent vivre dignement de leur travail. Ce n’est plus le cas, Michelin est venu nous le rappeler. Et puisque nous parlons ici de revalorisation du SMIC – ce qui ne réjouira pas tous nos lecteurs mais allez vous en plaindre au Président de Michelin, pas à moi ! – , que celle-ci ne se fasse pas au détriment de la compétitivité des entreprises. Elles en manquent cruellement. Tout cela mérite de revoir de fond en comble les charges qui pèsent sur elles et par là notre modèle social.

Tout un programme !

Martin