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Anticonformiste, bosseuse et fonceuse. Trois qualificatifs qui pourraient décrire Marie Molinier, ingénieure de formation et consultante indépendante spécialisée dans la transformation digitale et l’accompagnement des start-ups dans leur croissance.
Vendredi 30 octobre 2020, 10 heures. Attablées devant nos ordinateurs respectifs, armées de nos cafés, mon interlocutrice et moi-même apprenons à nous connaître. D’emblée, nos échanges prennent un tour surprenant en ce premier jour de reconfinement national : ça parle pots de peinture, garde d’enfants et garde-manger, plutôt que parcours professionnel et soft skills. Sourire éclatant, kimono multicolore et allure de pin-up, Marie Molinier, 38 ans, prend les choses avec philosophie. Une pandémie mondiale n’est pas le genre de détail qui bouleverse celle qui se décrit comme « un petit 4×4 ». L’analogie peut faire sourire, elle n’en reste pas moins vraie : « Un 4×4, ça s’adapte à tous les terrains et ça gravit des montagnes. » Tant pis, si la subtilité n’est pas toujours au rendez-vous. « S’il faut foncer dans le tas, j’y vais. S’il faut mettre les mains dans le cambouis, je le fais. »
Car Marie est à n’en pas douter une femme de défis, toujours dans les starting-blocks. De son adolescence rebelle — époque où sa chevelure était aussi écarlate que son rouge à lèvre du jour, où elle pratiquait l’escrime à haute dose — l’indépendante a gardé un certain idéalisme, une véritable aversion pour l’injustice, une croyance profonde dans le progrès et une volonté de faire avancer le monde, loin de toute naïveté juvénile. Après un passage par Louis-Le Grand et Henri IV, élève à Centrale Lille en ingénierie, elle part seule six mois à tout juste 22 ans en Mauritanie apporter l’électricité à ceux qui n’en ont pas, avant de passer six autres mois dans un laboratoire de recherche chez Total. Rêver, c’est bien. Agir, c’est mieux. « La question de l’énergie m’a toujours beaucoup intéressée et mon année de césure a confirmé cette appétence. Sauf qu’en plus de cette certitude, j’en suis revenue avec une seconde : celle de l’importance des énergies renouvelables. »
Si aujourd’hui, les énergies renouvelables sont une évidence — à tel point de que le gouvernement a articulé son Plan de relance (100 milliards d’euros) autour de la croissance verte — en 2005, très peu de formations existent dans le domaine. Marie Molinier a du flair et de l’audace : elle part finir ses études en Grande-Bretagne. « Franchement, j’étais l’une des pires étudiantes en langues que Centrale ait jamais connue, mais j’étais aussi l’une des meilleures de ma promotion. Les profs n’ont pas pu me retenir. » Elle débarque donc par un frais matin de septembre à l’université de Brunel à Londres en ne parlant quasiment pas un mot d’anglais. « Je ne vais pas vous mentir, les trois premiers mois ont été compliqués. Mais oui, je suis quasiment bilingue aujourd’hui. Après, tout le monde aurait pu le faire. » Pas si sûr… En plus de sa phénoménale capacité de travail et de son pragmatisme, Marie Molinier a donc le succès modeste. Voilà qui est suffisamment rare pour être souligné.
Non, rien n’arrête Marie Molinier, caractère bien trempé et exploratrice dans l’âme (Saint-Exupéry est l’un de ses auteurs préférés). Après diverses expériences en cabinet de conseil, où elle est souvent en charge de projets d’innovation, elle lance sa propre structure en 2017 : IHC Consulting, pour « Innovation Human Centric ». Pour elle, la technologie et le digital doivent avant tout servir l’humain : « Nous avons à notre disposition des outils formidables qui permettent aux hommes de se consacrer à des tâches à valeur ajoutée, à la stratégie, à la conception. Ils peuvent s’affranchir de tâches répétitives et abrutissantes. C’est à ça qu’il faut les consacrer. À mes yeux, l’innovation pour l’innovation n’a pas de sens. »
De missions en rencontres, elle devient consultante pour Believe en 2018. À l’époque, la start-up n’est pas encore ce géant de l’industrie musicale qui rivalise avec Universal ou Sony. Marie Molinier est engagée pour accompagner la fusion d’un label après son rachat par l’entreprise. Et ce qui ne devait être qu’une mission de quelques mois se transforme en emploi pérenne. Marie met IHC Consulting en sommeil et est bombardée directrice des intégrations. Son job ? Garder le meilleur des labels rachetés, sublimer leurs spécificités, tout en les intégrant au mastodonte qu’est en train de devenir Believe. Tout est à inventer, elle a quartier libre. « J’ai souvenir d’une société allemande spécialisée dans le métal qui était capable de balancer en ligne des morceaux enregistrés deux heures avant par ses artistes. Tout l’enjeu était de conserver ce fonctionnement artisanal dans une structure avec des processus de production plus standardisés », détaille Marie. Un challenge passionnant où l’ingénieure peut expérimenter, tester, essayer à foison. Le champ des possibles ne semble pas avoir de limites, pourvu que les résultats soient probants.
Mais voilà, trois ans plus tard, Believe a vu son nombre de salariés tripler et est devenu le numéro 4 mondial de la distribution de musique en ligne. À une logique d’expansion s’est substituée une phase de consolidation. Beaucoup moins amusant pour Marie Molinier : « Faire tourner un moteur déjà bien réglé, ce n’est pas ce qui me fait vibrer. Je préfère construire le moteur. J’aime le bouillonnement intellectuel, l’exigence que le dépassement de soi impose. » La jeune femme a donc décidé de reprendre sa liberté et les commandes d’IHC Consulting. Raison pour laquelle elle vient de rejoindre NC Partners on Demand. « Le digital est un moyen de remettre l’humain au cœur des décisions, pour cela il faut réinventer nos process, nos organisations et développer des outils facilitateurs. Je veux ouvrir ce monde des possibles. Si je vous dis qu’on peut faire des parallèles entre PNL et l’énergie nucléaire, cela paraît irréaliste, c’est pourtant vrai. Le digital permet une ouverture d’esprit peu commune. Et c’est ce à quoi je veux contribuer. »
À ses heures perdues, la consultante est aussi officier de réserve à l’État-major de l’Armée de Terre. Inattendu de la part de cet esprit anticonformiste : « Comme beaucoup, j’ai vraiment été secouée par les attentats de 2015. Intégrer l’armée a été pour moi une façon d’aider tous ces hommes et ces femmes qui assurent notre sécurité au quotidien. » Concrètement, elle consacre tous les ans plusieurs semaines de son temps libre à améliorer l’organisation des armées, en effectuant des missions de conseil auprès de l’Etat-major, notamment dans l’optimisation des interfaces et des process. « Je n’ai pas la prétention de dire que je sauve des vies, je rends juste service à ceux qui le font. » Toujours s’attaquer à de nouveaux horizons, se lancer dans de nouvelles aventures sans rien regretter, en s’affranchissant des conventions sociales et en traçant sa propre route.
Déborah Coeffier