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Evitons les superlatifs, mais c’est peu de dire que le monde a un peu changé en 28 jours.
Il a fallu des votes à New York jamais vus dans l’histoire onusienne pour que la paix se profile en Europe. Ma première pensée va pour les Ukrainiens. Ils attendent avec impatience ce jour où les canons se tairont.
Cet edito se concentre sur les événements économiques et sociaux des dernières semaines. Comme tout se marchande désormais, y compris la paix, je commencerai avec elle.
J’avais préparé cette lettre croyant que la paix en Ukraine allait se signer et que la rencontre entre les Présidents ukrainien et américain à la Maison Blanche allait leur permettre de finaliser leur accord. Il a fallu 41 minutes d’entretiens entre les deux hommes pour me renvoyer à la réécriture de ces lignes. L’arrêt des livraisons d’armes par les Etats-Unis finit de convaincre M. Zelenski qu’il n’avait pas d’autre choix que d’accepter les conditions imposées par M. Trump. Deuxième réécriture de cette introduction: la paix semble donc bien à nos portes.
C’est cela aussi le nouvel ordre mondial en 2025 : tout change à chaque heure.
Je continue de penser que le néocolonialisme qu’impose l’Amérique se retournera contre elle un jour. Et puis la paix n’enlèvera rien de la haine ukrainienne ni de la défiance de l’Europe à l’égard de la Russie. La paix sera fragile si elle advient. Mais que préférer, une mauvaise paix ou la continuation de la guerre?
La guerre n’a pas un visage de femme écrivait Svetlana Alexievich. Si vous avez oublié le visage de la guerre, allez lire l’auteure russe. Elle raconte les témoignages de femmes soviétiques pendant la seconde guerre mondiale.
Ames sensibles s’abstenir. Cette lecture m’aide à répondre à la question plus haut.
Le prix de la paix
Les Etats-Unis semblent en passe d’imposer la paix. Il faut leur reconnaître cette volonté en plus de nous avoir prévenus. Mais à quel prix ? Celui d’un nouveau monde encore difficile à dessiner auquel nous ne sommes de toutes façons pas préparés. Il y a désormais bien plus qu’un océan nous séparant de nos alliés historiques.
Et puis la paix a un coût.
La paix a un coût encore mésestimé pour l’Ukraine et l’Europe. Celui de sa reconstruction et, nous dit-on, de la cession des ressources de son sous-sol pour la première. Celui de sa Défense pour la seconde. Le futur chancelier allemand Friedrich Merz fait du réarmement européen et allemand une priorité. La Présidente de la Commission européenne vient de lui emboîter le pas. Mais ces nouveaux moyens, aussi grands soient-ils, ne trouveront un réel sens que s’ils contribuent à desserrer le collier américain sur le commandement militaire interallié en Europe. S’ils pouvaient aussi servir à régler les commandes faites aux industriels européens, ce serait bien. Le « Buy in Europe » est en train de faire son chemin dans l’UE via le Clean Industrial Deal. J’y reviens dans un instant.
Avec ou sans paix, les européens n’ont plus beaucoup le choix que de mieux se préparer à la guerre. Cela commence par financer le réarmement conventionnel de nos armées. Où trouver l’argent ?
En Allemagne, le chancelier annonçait hier la création d’un fonds de 500Md€ au point de faire bouger les marchés obligataires dans toute l’Europe. La veille, Mme Von der Leyen annonçait mobiliser 800Md€ au niveau européen en plus de déverrouiller les critères maastrichtiens que la France ne respectait de toutes façons plus.
Et en France, où trouver les fonds ? C’est une des questions que je pose au Général Gomart dans un épisode à venir de notre podcast Histoires d’Entreprises. Il planche en ce moment sur la question pour le Parlement européen.
Trouver plusieurs milliards d’Euros à nos armes dans le budget national alors même que notre trou annuel est de l’ordre 150Md€ est une équation impossible à résoudre sans remettre en question nos grands équilibres financiers. Faut-il rappeler que le Palais Bourbon discute en ce moment de creuser un peu plus ce trou en revenant sur la réforme des retraites ?
A nous demander comment dépenser plus militairement ou socialement, nos préoccupations se portent moins ou pas du tout sur la manière de les diminuer ailleurs ou d’accroître les recettes de la France autrement que par l’impôt. Mais voilà, c’est facile d’augmenter les dépenses d’un pays, c’est déjà un peu plus difficile de les réduire. C’est plus compliqué encore de faire grandir son activité économique. Tous les chefs d’entreprises savent cela. Il serait bienvenu de vouloir porter la croissance du PIB français de 1%, moyenne annuelle de la dernière décennie, à 2%, celle des Etats-Unis sur la même période. Il n’y a qu’un point entre 1% et 2%, mais c’est un doublement.
L’UE y réfléchit plus que nous. Ce n’est pas bien difficile, nous ne le faisons pas. Ce fut d’abord le rapport de M. Letta puis celui de M. Draghi. La loi Omnibus et le Clean Industrial Deal qui viennent d’être proposés sont les premières réponses aux cloches sonnées par les rapporteurs et quelques autres.
Plus de 400 CEO et délégations industriels venus de toute l’Europe étaient présents à Anvers le 26 février en même temps que moi pour écouter la Présidente de la Commission européenne en partager quelques éléments essentiels. Qu’en retenir ?
La loi Omnibus et le Clean Industrial Deal poursuivent des objectifs comparables mais sont deux objets différents.
La loi Omnibus
La loi Omnibus concerne toutes les entreprises de l’UE. Elle fait le ménage dans quatre champs d’action :
Les sociétés encore concernées continueront de reprocher à la CSRD et la CS3D leur lourdeur. On compatit.
On oublie aussi souvent de rappeler que ces lois européennes sont extraterritoriales. Quand j’observe les dégâts des lois extraterritoriales américaines sur leurs relations et leur image dans le monde, l’homme de paix que je suis aurait bien voulu que le champ d’application de ces règlementations soient contraignantes seulement à l’intérieur de l’UE. Un jour, peut-être, l’UE ouvrira les yeux sur les conséquences diplomatiques à ses velléités bien compréhensibles de limiter ses émissions de carbone. Tous ces préliminaires étant partagés, je me dois de vous dire que BlueBirds fait vivre entre autres une communauté d’experts freelances RSE et CSRD. Nous animons le 13 mars prochain un webinar avec Cosmin Dragan, Chief ESG Transition Officer chez BNP Paribas CIB.
La loi Omnibus va dans le bon sens, tous les participants ayant eu chacun deux minutes pour s’adresser directement à la Présidente de la Commission à Anvers le lui ont dit. Tous lui ont fait part aussi de leur grande inquiétude et de l’urgence absolue d’agir. La loi Omnibus ne répond pas à cette inquiétude.
On ne mesure pas l’immense vague de désindustrialisation qui traverse toute l’Europe, pas seulement la France. C’est une catastrophe. Depuis 2021, l’output européen a décru par exemple de 7% en Allemagne et de 9% en Belgique.
Quand Geert Van Poelvoorde, CEO de ArcelorMittal Europe dit tout haut en s’adressant à la salle que c’est aujourd’hui la dernière fenêtre de tir pour sauver la sidérurgie en Europe, croyez-moi, on entend les mouches voler après son intervention. L’acier chinois envahit tout le continent.
Le seul américain dans la salle était Peter Huntsman, CEO de Huntsman Corporation, groupe de chimie de spécialités de 6Md$. Il a annoncé avoir fermé un tiers de ses capacités européennes en seulement un an. « Quand allez-vous enfin réagir ? » a-t-il lancé à Mme Von der Leyen. Il est le seul à avoir été applaudi. Il y avait un peu de colère dans ces applaudissements. Dans l’ancienne bourse d’Anvers, il n’y avait ni cris, ni slogans sur pancartes, ni pneus brûlés. On s’y préparait.
Le Clean Industrial Deal
Le Clean Industrial Deal cible lui les entreprises industrielles, et plus particulièrement celles énergie-intensives. Bien plus que la loi Omnibus, il promeut le développement économique de l’Europe.
Saisissez les trois mots clés dans la barre de recherche du journal Le Monde et vous n’obtiendrez aucune réponse. Faites le même exercice sur Le Figaro, et vous aurez le droit à un article mais pas un de plus. C’est dire si notre développement économique est au centre de nos préoccupations.
Vous trouverez le détail du Clean Industrial Deal ici. Il inclut notamment un Affordable Energy Action Plan et la création d’une nouvelle banque, la Industrial Decarbonization Bank.
Allons directement à la conclusion. Je n’ai rien entendu qui réponde aux préoccupations des industriels : leurs CAPEX que sont prêts à payer en partie les Etats-Unis, leurs OPEX devenus non compétitifs face à la Chine et l’atonie de la demande sur les marchés européens.
Les dirigeants avec qui je me suis entretenu étaient-ils davantage convaincus que moi par le Clean Industrial Deal ? Non.
C’est dans l’énergie que l’on mesure déjà le virage raté du Clean Industrial Deal. Je ne vous ferai pas ici l’exégèse du Affordable Energy Action Plan. Mais à titre illustratif, augmenter les interconnexions de réseaux électriques au sein de l’Europe ou diminuer les taxes qui y sont attachées ne fera que diminuer marginalement la facture énergétique de nos entreprises ou de nos foyers. Ce qu’il faut, c’est construire des centrales baseload nucléaires au prix de l’électron le plus faible possible. La France a choisi la technologie EPR2. Est-elle la moins chère à iso-sûreté? C’est la seule question à nous poser.
Les renouvelables feront partie de notre mix énergétique mais ne résoudront jamais notre besoin électrique en base. Il fait nuit la nuit et il fait parfois pétole, même en pleine mer. M. Gallois que j’interviewe dans un des épisodes du mois nous rappelle que le gaz peut et doit encore être utilisé comme une énergie de transition, même s’il est désormais quatre fois plus cher qu’aux Etats-Unis.
Les éléphants dans le magasin de porcelaine
Le drame de la loi Omnibus et du Clean Industrial Deal, c’est qu’ils ne s’occupent pas des éléphants dans le magasin de notre porcelaine économique et sociale :
L’UE a fait un chemin immense dans sa façon de penser depuis quelques mois. Elle est en train de comprendre qu’il lui faut une industrie sur son sol, de la plus essentielle à la plus technologiquement avancée. La loi Omnibus et le Clean Industrial Deal étaient impensables il y a encore un an. C’est ce que disait Marko Mensink à l’origine de la Déclaration d’Anvers à mon micro il y a quelques jours.
Ces deux trains législatifs démontrent aussi que le chemin à faire pour accepter les nouvelles règles du commerce mondial imposées par la Chine et maintenant les Etats-Unis est encore long. Celui pour s’y adapter et gagner des parts de marché sera un peu plus long encore. La simple mise en application d’un principe de réciprocité aiderait l’UE à faire face.
Ces trains rappellent enfin que l’UE est lente. Son pas de temps est l’année, celui de M. Trump est la journée.
La Chine vise la première puissance mondiale en 2049. L’UE vise sa neutralité carbone en 2050. Il y a mille façons d’être neutre en carbone. Que voulons-nous au fond en plus de contribuer à la fin du réchauffement climatique ?
Dans l’attente que l’UE veuille redevenir un continent prospère et s’en donne les moyens, les CEO qui me lisent peuvent se demander comment se préparer au nouveau monde qui s’annonce. Ils peuvent revoir l’allocation géographique de leurs efforts commerciaux i), optimiser les codes HS/HTS des produits importés ii), réduire leurs coûts iii), revoir leur pricings intra-groupe iv), remodeler leur portefeuille fournisseurs v) ou encore relocaliser leur base d’innovation et de production vi). Ils peuvent aussi subir. Nous préférons les aider.
Rendez-vous dans un an nous a dit la Présidente de la Commission européenne. D’ici là, si vous êtes CEO, précipitez-vous signez la Déclaration d’Anvers et préparez la guerre, commerciale et productive celle-là.
Martin