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La réindustrialisation des US version Trump

La plupart de nos indicateurs économiques et sociaux sont en train de virer à l’orange et la COP29 n’a rien fait pour les verdir mais je me suis principalement tourné vers les Etats-Unis dernièrement. M. Trump sera le nouveau Président des Etats-Unis le 20 janvier prochain.

Il a déjà annoncé l’augmentation des taxes douanières appliquées au Mexique, au Canada et à la Chine. Curieusement, rien pour l’instant à l’égard de l’Europe dont le solde de la balance commerciale est pourtant négatif et de l’ordre de 160Md€[1] en 2023.

L’affaire est moins binaire avec l’Europe qu’elle ne l’est avec la Chine ou les voisins nord-américains des Etats-Unis. Nous ne devons donc pas l’absence d’annonce de la part du futur Président des Etats-Unis aux discussions qu’il a peut-être eues avec Christine Lagarde. On pourrait pourtant le croire. Elle recommandait dans Les Echos du 28/11 d’acheter davantage aux Américains. Je reconnais être un peu tombé de ma chaise en lisant Mme Lagarde. Je ne suis visiblement pas le seul. Réindustrialisation et augmentation des importations sont perpendiculaires. A vouloir davantage acheter aux Etats-Unis, la position de Mme Lagarde va dans le sens contraire à l’augmentation de notre production souhaitée par la majorité d’entre nous.

Certes, mais l’UE n’est pas la France.

Le solde de la balance commerciale allemande avec les Etats-Unis était bénéficiaire de 63Md€[2] en 2023. Vu depuis Washington, l’Allemagne représente à elle seule 40% du déficit commercial US-UE. L’Allemagne a beaucoup à perdre d’une guerre commerciale avec les Etats-Unis. C’est moins le cas pour la France dont le solde de sa balance avec les Etats-Unis en 2023 était de 7Md€[3]. Pour M. Trump et son souhait de retrouver la maîtrise de ses importations, le problème européen est allemand, pas français. Quand Mme Lagarde souhaite ne pas provoquer l’ire des Etats-Unis, elle parle surtout pour nos amis germaniques.

En préparant une réunion avec des Directeurs Achats la semaine dernière, et pour tenter de mieux comprendre nos voisins outre-Atlantique, je me suis plongé dans les tous premiers textes que M. Biden avait fait écrire après son investiture. Je suis tombé sur l’Executive Order 14005. 5 jours seulement après sa prise de pouvoir, le 25 janvier 2021, Joe Biden ordonnait par décret que la valeur ajoutée produite sur le sol américain des achats réalisés par les agences publiques américaines augmentât. Ce seuil minimum était de 55% jusqu’alors. La Fédéral Acquisition Régulation impose que ce taux soit désormais de 65%. Il atteindra 75% en 2029. Pour faire simple, quand on est acheteur public aux Etats-Unis, on achète américain. Les dépenses publiques américaines s’élèvent à environ 10 000 milliards de dollars. A titre de comparaison, les dépenses publiques au sein de l’UE s’élèvent à environ 8 000[5] milliards d’euros sans qu’aucune législation comparable en France ou en Europe n’existe hormis dans quelques domaines réservés comme la Défense.

Un siècle de protectionnisme américain

Le texte initial, le Buy American Act (BAA), date de 1933. C’est en réponse à la crise débutée en 1929 que le Président Hoover, républicain, avait signé le BAA. Rien de très nouveau donc dans la décision de M. Biden. C’est seulement qu’il a augmenté la température d’une flamme allumée il y a bientôt un siècle.

M. Biden et M. Trump, avec des modalités différentes et dans des styles pour le moins opposés, poursuivent donc le même objectif : favoriser la croissance américaine par un rééquilibrage de leur balance commerciale. En achetant moins à l’extérieur, en favorisant l’achat national, les Etats-Unis cherchent à produire davantage sur leur sol. Les deux Présidents veulent réindustrialiser les Etats-Unis. Rien de surprenant : la part du secteur manufacturier dans le PIB américain est comparable à celui de la France : ~12% pour les US contre ~11% pour la France.

Lisez le rapport de la Maison Blanche de juin 2021 pour vous en convaincre : « Building resilient supply shains, revitalizing american manufacturing, and fostering broad-based growth ». La toute première recommandation p.12 pour favoriser le développement de l’économie américaine de la part de Jake Sullivan et de Brian Deese, tous deux reportant directement au Président, consiste à reconstruire une base industrielle tout en favorisant l’innovation. Peut-on être plus clair ?

La priorité économique n°1 de M. Trump et de M. Biden est donc la même. Reconstruire l’outil industriel américain et conserver leur leadership technologique.

M. Biden a été fidèle à ses idées démocrates. Il a annoncé pendant son mandat des dépenses publiques dont l’unité de compte est la centaine de milliards de dollars (ex : IRA, 400Md$ et Chips Act, 200Md$). M. Trump, fidèle à ses idées républicaines mais surtout à lui-même, reviendra peut-être sur ces programmes. Il a annoncé pendant sa campagne qu’il mettrait fin à l’IRA. Mais il poursuivra son objectif et celui de son prédécesseur à sa manière comme il vient de commencer à la faire. Dans un souci de paix commerciale, Mme Lagarde a-t-elle fait gagner du temps à toute l’UE et plus particulièrement à l’Allemagne? Peut-être. Peut-être pas non plus car l’IRA tourne à plein régime en ce moment. Les industriels européens, en s’appuyant sur les financements offerts par l’IRA, en privilégiant leurs investissements aux Etats-Unis devant l’Europe, cofinancent avec les contribuables américains le programme de réindustrialisation des Etats-Unis. Vous qui me lisez vous avez peut-être ordonné ces investissements. Vous avez vos motifs qui échappent parfois à l’intérêt d’un Etat pour privilégier celui d’un autre. J’en fais tout autant. Nous le faisons tous, que ce soit en consommant ou en investissant.

Il existe un scénario dont je n’entends pas parler. Que M. Trump conserve les programmes des démocrates et qu’il applique le sien. Ils peuvent tout à fait coexister. Ce seraient alors trois moteurs et d’autres encore qui tourneraient en faveur du renouveau industriel américain : l’achat public et les programmes d’incentives avec l’IRA en fer de lance version Biden, les taxes douanières version Trump. Qu’avons-nous de comparable au sein de l’UE? Rien ou si peu.

L’immobilisme de l’UE et le chaos français

Vous serez rassurés j’espère d’apprendre que M. Stéphane Séjourné et Mme Teresa Ribera, tous deux fraîchement confirmés à la Commission Européenne, se sont donnés 100 jours pour établir un Pacte pour une industrie propre, le Clean Industrial Deal. M. Trump n’est pas au pouvoir qu’il a déjà commencé à abattre ses cartes. Joe Biden a mis cinq jours pour établir ses décrets et relancer l’industrie américaine. Il nous faudra 100 jours pour écrire un nouveau rapport et en débattre ensuite. Combien de temps pour prendre une décision? Deux façons d’exercer le pouvoir, deux vitesses aussi pour avancer. On comprend mieux ici pourquoi un océan nous sépare de l’oncle Sam.

Nous avons raison de craindre M. Trump. Nous aurions dû craindre tout autant M. Biden. Surtout, nous devrions nous méfier de nous-mêmes. L’absence de politique industrielle européenne, notre inaction face aux pratiques déloyales de la Chine, notre incapacité à activer des mesures de réciprocité avec les Etats-Unis, tout cela est en train de porter des coups sévères à l’industrie européenne et à toute notre économie. Nous nous appauvrissons par notre propre volonté.

J’évoquais dans cette lettre le mois dernier les cas de Doliprane et Volkswagen. S’est ajoutée depuis l’annonce des fermetures des usines de Cholet et Vannes par Michelin. ArcelorMittal France vient d’annoncer le gel de son projet de décarbonation de son usine de Dunkerque et la restructuration de deux sites à Denaim. M. Ferracci notre Ministre de l’Industrie demande désormais à Bruxelles des mesures de sauvegarde. M. Barnier vient d’annoncer un moratoire sur la loi ZAN. C’est éteindre des feux que nous avons-nous-mêmes allumés. M. Trump n’est pour rien dans ces désastres économiques et sociaux. Nous le sommes au premier chef.

Si seulement les mesures prises par la France pouvaient masquer l’atonie européenne. Hélas ! Je me garderai dans ces lignes de vous décrire ma profonde inquiétude quand j’observe le pays qui m’a vu naître. Nos comptes publics sont si dégradés que le trésor français emprunte désormais à des taux comparables à ceux de la Grèce. Pardon pour nos amis grecs qui me lisent, mais ce n’est pas une situation enviable à la France. J’attends sans impatience le prochain épisode de la triste série débutée juin dernier.

Une lumière

Pas très loin de nous, au milieu de ce désordre, j’ai aperçu une petite lumière : celle d’un cessez-le feu au Liban. Je m’accroche à cette lumière comme un enfant à son cierge. Je sais que cette lumière peut vaciller d’un instant à l’autre.

Un peu plus au Nord, les bombes continuent elles de pleuvoir en Ukraine et plus particulièrement sur son système énergétique. Qu’est-ce qu’un pays sans électricité ? La Russie gagne du terrain parce que sa détermination est sans faille : elle ne compte pas ses morts. Son armement s’accroît de jour en jour. Près de 600 000 soldats russes sont désormais déployés en Ukraine. Le Kremlin vise 700 000 d’ici la fin de l’année[6]. Comme vous, je sais que le sort de la guerre dépend entre autres de la volonté de M. Trump de continuer de fournir l’Ukraine en armes. Nous le voudrions que nous en serions incapables. Même avec le matériel suffisant, quelle force peut contenir 700 000 hommes à qui l’on ordonne d’avancer? BlueBirds a reçu il y a quelques semaines la première demande de l’un de ses clients pour évaluer les conséquences de la chute de l’Ukraine sur son activité mondiale. Je ne peux que vous inviter à y réfléchir également.

Alors voyez-vous, je perçois nos agitations commerciales en ce moment d’un regard nouveau. Ces agitations sont utiles. Elles sont nobles même. Elles nous nourrissent, nous, nos familles, nos amis, nos voisins, nos fonctionnaires. Parfois, elles nous permettent de nous acheter une voiture électrique quand nous sommes riches. Elles n’arrivent cependant plus à financer notre système. Elles me semblent bien peu de choses devant ces guerres qui pourraient advenir. Vous les subissez déjà sous forme de cyberattaques. Pas un de nos clients n’y échappe. Pas une administration publique ne peut se prétendre couverte d’un tel risque. Bienvenue en économie de guerre ! nous dit David Baverez dans son dernier essai. Vers la guerre ? est le titre du dernier ouvrage de Sébastien Lecornu Ministre des Armées. Encore heureux que son titre soit ponctué d’un point d’interrogation.

L’Histoire se répète. L’Europe, faible, divisée, a remis son destin dans les mains des Etats-Unis et de l’Otan. Le nouveau Président américain le sait très bien. La voilà probablement la raison pour laquelle il n’a pas encore mis l’UE dans le périmètre de ses premières mesures de protection douanière. Il a bien plus à monnayer : la paix. 

Ne soyons donc pas trop prompts à le critiquer. Il a été élu pour des raisons dont certaines sont valables en France et en Europe. Beaucoup d’Américains n’arrivent plus à joindre les deux bouts.

Surtout, on sert la main de celui qui pourrait un jour sauver tout votre continent.

Que cela ne nous empêche pas de reprendre notre destin en main, là où il y a une volonté il y a un chemin. Regardez Notre-Dame de Paris !

Martin


[1] source : fr.statista.com

[2] source : elucid.media

[3] source : tresor.economie.gouv.fr

[4] source : countryeconomy.com

[5] Source: Home – Eurostat

[6] source : statista.com