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Je cherchais depuis quelques jours un sujet plus léger que la situation dégradée de nos finances publiques dont nous parlons bien peu dans la campagne présidentielle. Résolu à ne pas évoquer de choses essentielles, mon attention s’était un temps portée sur la couverture du dernier Challenges « Tout se joue avant 12 ans » qui affichait le sourire d’une jeune fille une craie à la main. Nous serions tombés dans les difficultés systémiques de l’Education Nationale. On a connu plus léger.
J’ai également été tenté de promouvoir notre nouveau podcast et les entreprises que nous avons récemment rencontrées. J’ai alors pensé à mon fil d’actualité sur LinkedIn cette semaine. Deux posts se suivaient : le premier montrait une danse TikTok de deux employées faisant la publicité de leur employeur. Le second affichait une photo de la population de Kiev en train de fuir. La superposition de ces deux images m’avait mis mal à l’aise. LinkedIn ne hiérarchise pas les sujets. N’importe quel être humain le fait, ne m’en voulez pas d’égratigner ici mon premier outil de travail. Comment donc parler d’un sujet léger quand la guerre est à nos portes ?
L’armée russe ne chasse pas seulement les Ukrainiens. La pandémie, la campagne présidentielle, toutes nos préoccupations ont été balayées en une nuit pour une bonne raison. Nous avons tous conscience que cette nouvelle guerre est en train de changer notre monde à la vitesse de l’éclair dans une forme de retour de l’histoire auquel nous ne sommes pas préparés.
Petit-fils d’émigré slovaque ayant fui l’avance soviétique dans le pays natal de mon grand-père maternel, j’ai été sensibilisé très tôt aux drames de l’Europe de l’Est dans la seconde partie du XXème siècle. Dans l’imaginaire du jeune garçon que j’étais, je me figurais mon grand-père les mains agrippées au volant de sa Trambant dépassant les chars pour rejoindre la France et épouser une jeune et belle française qui allait devenir ma grand-mère. Mon grand-père a fui la Tchécoslovaquie bien avant l’invasion du pays en 1968 par le Pacte de Varsovie. Il est arrivé en France un peu avant l’éclatement de la seconde guerre mondiale , mais il a bien rencontré les chars russes en 1968. Il avait décidé d’aller passer des vacances en famille du côté de Bratislava cette année-là. C’est ce qui s’appelle avoir un mauvais sens du timing. S’il y a un sujet avec lequel il était difficile de plaisanter quand nous étions à table avec mes grands-parents et avec ma mère ensuite, c’était le système communiste. Au point qu’aujourd’hui, je fais partie de ces personnes qui se sentent choquées que l’on permette à un parti de porter le nom d’un régime qui massacra son peuple. Y compris en Ukraine où Staline, délibérément, organisa là-bas en 1932 et 1933 l’holodomor, une famine qui tua 6 millions d’hommes, de femmes et d’enfants.
J’ai pleuré en apprenant l’invasion de l’Ukraine.
Je me suis tout d’abord souvenu de ce grand-père boulanger si gentil ayant quitté ce monde il y a bien longtemps maintenant et qui fait partie de ces personnes auxquelles je pense quand j’ai une décision difficile à prendre.
J’ai pensé à ce que la guerre que nous regardons depuis nos écrans a de réel pour ceux qui la vivent: la mort, les blessures des corps et des âmes, le viol des femmes, le destin perdu des enfants, la perte de ce qui vous attache à votre pays quand vous le quittez forcé par le destin. Tout cela à quelques centaines de kilomètres de Paris.
Je me suis aussi souvenu de mes cours d’Histoire qui aujourd’hui ne rappellent plus assez les peurs et les pleurs qu’ont connu l’Europe de 1945 à 1989, date de la chute du mur de Berlin. Quand je me suis rendu en Roumanie pour quelques mois de stage en 1997 – c’était déjà 6 ans après la dislocation de l’URSS – le pays se remettait encore à peine des années Ceausescu. Les rues n’étaient pas encore couvertes de bitume, les étalages de magasins alimentaires étaient encore largement vides, la prostitution et la drogue profitaient du vide laissé par le dictateur et de l’absence d’un nouveau pouvoir. Et soufflait un vent de liberté qui m’avait grisé. On ne craignait plus la Russie mais on se méfiait de tout ce qui pouvait rappeler le pouvoir soviétique. Avec l’invasion de l’Ukraine descend un nouveau rideau de fer qui se sera déplacé en 30 ans de Berlin aux frontières orientales de la Pologne, de la Roumanie, de la Hongrie, de la Slovaquie, et de la Moldavie. Ce rideau coupera l’Europe en deux : celle au sein de l’OTAN, et l’autre. Avec une inconnue : le cas de la Moldavie qui comme l’Ukraine n’est ni membre de l’UE ni membre de l’OTAN et en fait donc une cible de choix dans la dynamique russe en cours. Comme mes amis de l’époque avaient raison de se méfier de leur grand voisin.
Et voilà que depuis quelques jours la Russie met en alerte ses forces militaires de dissuasion. Dans un pays dirigé par un seul homme qui ne pense qu’en termes de rapports de force, je me demande comment l’ordre d’activer le feu nucléaire est vraiment donné.
L’installation de rapports de force – et leur usage – est pour moi une des grandes leçons des derniers événements. L’Europe, et en particulier la France, est profondément attachée au droit – elle a bien raison – mais elle pense peu en termes de rapports de force. Dans ce monde qui se polarise aidé tout récemment par la Russie qui oblige toute la planète à se positionner, il va falloir que l’Europe affiche sa force propre et savoir sur qui compter. Et le problème n’est peut-être pas seulement du côté de ceux qui sont susceptibles d’être nos adversaires ou nos ennemis putatifs. Il est d’après-moi peut-être du côté des Etats-Unis.
D’abord parce que l’OTAN n’est pas l’UE et les intérêts des uns ne sont pas nécessairement les intérêts des autres.
Ensuite parce que les Etats-Unis de Trump ne sont pas les Etats-Unis de Biden s’agissant de leurs relations à la Russie. Nous connaissons l’admiration que voue l’ancien président américain pour l’actuel chef du Kremlin. Qu’adviendrait-il si Trump où un dirigeant américain pensant comme lui revenait au pouvoir de la première puissance mondiale ?
Enfin parce que les Etats-Unis doivent cesser au plus tôt leur politique de lois extraterritoriales. Ces lois minent déjà et mineront davantage encore la confiance entre puissances alliées depuis toujours, les Etats-Unis et l’Europe, faisant face à deux puissances où la force prime devant la loi, la Chine et la Russie.
J’attendrai encore longtemps avant de visiter Saint Pétersbourg ou Moscou que je ne connais pas. Mais j’aimerais savoir si en voyageant à San Francisco ou New York je me rends dans un pays qui défend vraiment les intérêts de l’UE. La réponse étant dans la question – les Etats-Unis défendent d’abord l’intérêt des Etats-Unis – il va bien falloir prendre notre destin en main.
Et en attendant, tout faire pour que les chars russes n’entrent pas en Moldavie. Ce n’est certainement pas un hasard si notre Ministre des Affaires Etrangères y est au moment où j’écris ces lignes.
Martin