Othmane Senhaji Rhazi, un phoenix amoureux du risque
À 31 ans, le Franco-Marocain passé par l’Essec et Berkeley a déjà été à la tête de plusieurs aventures entrepreneuriales, dont ZeClef. En travaillant sur la prochaine, il officie comme manager de transition pour BlueBirds, avec l’envie d’apprendre et une volonté certaine d’être et de se sentir utile, toujours prêt à “aller au front” pour ses partenaires et clients.
Othmane Senhaji Rhazi est un amoureux du risque. Dans tous les aspects de sa vie. Certains le décriraient comme un vrai casse-cou. D’autres comme un perfectionniste. Question de sémantique. Qu’il fasse du tir longue distance, de la peinture ou du parachutisme, qu’il investisse en bourse ou fonde une entreprise, qu’il apprenne les échecs, ou pilote un avion, il fait tout à fond. Le point commun avec l’entrepreneuriat ? “Une croyance inébranlable en ses capacités, une résilience à toute épreuve et un mélange d’anticipation et de confiance. Chaque aventure que j’ai entreprise résonne avec la sensation d’une première chute libre : un saut dans l’inconnu, avec un rêve.” À 31 ans, le serial entrepreneur ne le cache pas, il vit “d’obsessions et d’intensité”, avec l’envie de prendre des risques, de performer, de se dépasser. Il n’y a là aucune prétention, seulement un appétit vorace de vivre et la rage de réussir.
Ce regard sur le monde lui vient peut-être de son éducation – sa sœur a fait Polytechnique, son frère Epitech – où pour être écouter à table il fallait briller. Son père architecte et sa mère professeure de littérature arabe, divorcés, ont toujours réclamé l’excellence : “Il fallait faire ses preuves par sa matière grise parce que c’est un critère de reconnaissance sociale”, analyse Othmane. Après ses classes prépa à La Résidence à Casablanca, il intègre l’Essec. Pourquoi une école de commerce ? “Je croyais naïvement que pour gagner de l’argent et être indépendant financièrement (ce qui était une vraie nécessité à l’époque pour moi), il fallait apprendre à en faire. Alors que c’est à peu près le contraire de ce que vous apprenez en école de commerce”, rigole-t-il.
De Berkeley à ZeClef
En plus d’un diplôme reconnu, l’Essec offre à Othmane du temps libre grâce à un système de cours à la carte. Passionné de finance, il commence à investir et à se constituer un portefeuille qu’il gère toujours 12 ans plus tard. Il monte aussi avec des associés, sa première entreprise, à tout juste 20 ans. “Ça m’a clairement donné le virus de l’entrepreneuriat.” Il lance Bobrunel, une ligne de maroquinerie 100% personnalisable en 2014, et revend ses parts un an plus tard pour son départ aux Etats-Unis. A Berkeley. Vivre l’American Dream dans la Silicon Valley. Il en profite pour fonder avec des amis de UCB et Polytechnique, CrowdGo, pour aider les PME à assurer le financement de leur fonds de roulement, en “collatérallisant l’investissement”. Le projet n’aboutit pas pour des raisons légales et géographique. “Ça a été une traversée du désert pour moi. Je suis rentré au Maroc, fauché, en me demandant ce que j’allais faire.”
Mais il paraît que la chance sourit aux audacieux. Nous sommes en 2016. C’est le début du boom de l’énergie solaire. En visitant une usine avec un ami, il tombe sur un stock de panneaux photovoltaïques à une période où tout le monde se les arrache. Il poste une annonce sur Avito (le Bon Coin marocain) pour savoir s’il y a un potentiel marché. « J’ai reçu plus de 100 demandes en quelques jours. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire.” Il monte donc ROSEnergy. “Pendant deux ans, ça a été la folie. Je me souviens encore d’agriculteurs qui faisaient 800 km dans la journée pour venir remplir leurs camions de panneaux solaires.” Mais la concurrence chinoise, qui inonde peu à peu le marché, ne lui permet pas de continuer dans cette voie.
Retour à la case départ une fois de plus. Mais pas pour longtemps. Il fonde, l’été 2018, sur le modèle d’Uber, ZeClef, une société de nettoyage industriel mettant en relation indépendants et entreprises. Il y a une opportunité des deux côtés : des patrons qui ont besoin de flexibilité en termes de logement et de gestion de leurs bureaux, à un moindre coût et sans engagement. De l’autre, des indépendants avec de la disponibilité mais qui n’arrivent pas à se faire connaître. Rapidement, Othmane Senhaji Rhazi se retrouve à la tête d’une armée de 1200 indépendants, un parc de 200 appartements à gérer et une vingtaine d’employés. “J’étais devenu un peu obsédé. Des tableaux Excel, des horaires, des imprévus à gérer : un livreur qui crève un pneu, des clefs perdues, un hôte qui ne quitte pas les lieux… J’ai bossé 7 jours sur 7, 16 heures par jour, pendant trois ans. Cela m’a appris la résilience, l’humilité et la nécessité de déléguer. Un exercice dur pour un control freak comme moi.” C’est d’ailleurs à cette occasion qu’il croise la route de Martin Videlaine. À l’époque, les rôles étaient inversés avec BlueBirds comme client.
“Nos jobs, c’est de résoudre des problèmes”
En 2020, pendant la période Covid, ZeClef perd 98% de son chiffre d’affaires. Il faut se réinventer en quelques jours. L’entreprise propose alors un service de désinfection qui cartonne. En deux mois, il redresse sa boîte, fait 1,2M€ de CA mais Othmane est fatigué : “ZeClef aurait pu devenir un ogre. Mais c’était un travail de fourmi et de tortue. Ça aurait pris 10 ans. Et j’avais atteint la limite de ce que je pouvais apporter. J’avais aussi besoin de recharger les batteries autrement.” Il vend son entreprise à un géant du nettoyage français qui absorbe le réseau et la technologie construits par la jeune pousse.
Depuis, le trentenaire a pris le temps de souffler et de se poser. D’apprendre la patience aussi. Avant de se lancer dans un nouveau projet. “Je suis plus précautionneux qu’avant. Je choisis où je mets mon temps et mon énergie. Les dix prochaines années seront déterminantes pour ma carrière. Je prends donc le temps de construire mes choix.” Alors, en attendant de savoir s’il posera bientôt ses valises à New York ou à Dubaï, il engrange toujours plus d’expérience et de contacts. Pour cela, il a fait le choix du management de transition (qui n’a jamais aussi bien porté son nom).
En tant qu’ancien CEO, il connaît aussi bien la difficulté de tracer de grandes lignes pour l’avenir, entre choix stratégiques, déploiements opérationnels et ambitions culturelles, que les écueils d’un quotidien où l’activité et la concurrence ne prennent jamais de repos. “Je suis quelqu’un qui aime résoudre des problèmes. Le fait d’avoir moi-même été à leur place augmente la probabilité d’avoir connu des problématiques similaires. Et en tant que dirigeant, soyons honnêtes : nos jobs, c’est de résoudre des problèmes.” Alors Othmane prend ces problèmes à bras le corps. Avec bienveillance et avec l’ambition d’ouvrir de nouvelles perspectives aux autres. Sans jamais avoir peur de renverser la table. Avant, lui aussi, de tracer sa propre voie avec son goût du risque, son énergie débordante et sa capacité à déceler une opportunité dans chaque obstacle.
Par Déborah Coeffier.