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Le temps long, notre nouvelle urgence

Voilà un mois presque qu’Israël a subi une barbarie qui restera dans les livres d’Histoire.

Voilà un mois presque que des familles sont sans nouvelles de leurs membres pris en otages. Voilà un mois presque que les palestiniens, civils et terroristes confondus, vivent sous les bombes. Voilà un mois presque que les media nous bombardent à leur tour d’images et d’histoires plus atroces les unes que les autres au point que je m’en protège désormais. Voilà un mois presque que nous retenons notre souffle afin de savoir si le monde basculera dans un nouveau conflit généralisé.

De même qu’il eut un avant et un après au 11 septembre 2001, il y aura un avant et un après au 7 octobre 2023.

Dans les réactions par milliers qui se déversent dans nos téléphones, une a particulièrement retenu mon attention, c’est celle d’Hubert Védrine. Il rappelait les errements collectifs ayant conduit à l’arrêt du processus du paix initié lors des accords d’Oslo en 1993. C’était il y a 30 ans maintenant. Il faudra bien un jour ou l’autre relancer ce processus de paix. Un tel discours est aujourd’hui inaudible, on le comprend aisément tant la souffrance est grande.

30 ans, c’est le temps qui s’est écoulé entre espoir de paix et guerre retrouvée. Ce processus a été lent, mais il a été là. Il a creusé son sillon au début invisible. Ce sillon est devenu une brèche que nous regardions de loin assis confortablement depuis notre canapé. Et puis cette brèche est devenue ce que nous lui connaissons aujourd’hui.

Nous devrions tous nous rappeler que le temps long fait son travail sans jamais s’arrêter. Ce travail est souvent invisible à son commencement, mais après quelques années ou décennies, il éclate en soubresauts de l’Histoire. Ce qui est vrai à Gaza, en Ukraine ou en Afrique sub-saharienne, et donc jamais très loin de chez nous, l’est également au sein de nos frontières.

Au sein de l’Union Européenne tout d’abord.

Les batailles au sein de l’UE ne sont heureusement pas armées mais de plus en plus musclées et devenues publiques. Même les plus européens d’entre nous dont votre serviteur perçoivent de façon croissante les errances et les manquements de l’UE, et parmi ces manquements, celle d’une politique économique qui ne soit pas seulement tournée vers les consommateurs. Je rappelle ici que depuis le début des hostilités en Ukraine, l’UE est passée d’un excédent commercial d’environ 200Md€ en 2020 (218Md€ pour être précis, source :  fr.statista.com) à un déficit de 430 Md€ en 2022. Moins ~600Md€ par an en trois ans ! C’est un effondrement signe d’un appauvrissement à grande vitesse du continent.

L’Allemagne a compris que c’est son industrie, socle de toute son économie et donc de sa richesse, qui est en jeu en ce moment-même. Ne pouvant plus acheter à bon prix du gaz russe, pouvant de moins en moins vendre ses machines à la Chine qui monte en valeur ajoutée, les Allemands ne veulent surtout pas d’une industrie forte en France qu’une énergie nucléaire bon marché et décarbonée favoriserait. Dans les discussions qui ont eu lieu ces derniers jours portant sur la réforme du marché européen de l’énergie, ce qui se négociait entre la France et l’Allemagne, c’était l’entrée de notre parc nucléaire déjà amorti dans le périmètre d’application des Contrats par Différence (CpD) contre le subventionnement direct par l’Allemagne de son industrie. Notre industrie contre la leur. Nos emplois contre les leurs. Notre richesse contre la leur. Il n’y a rien d’européen ici, seulement des intérêts nationaux par ailleurs bien compréhensibles.

Malgré les annonces d’un accord trouvé, ce qui manquait en bas de page, c’était le tunnel de prix dans lequel les CpD joueraient. C’est ce « petit détail », le prix de notre électricité, qui déterminera largement le niveau de compétitivité retrouvé, ou pas, de nos usines. C’est ce prix encore qui assurera la pérennité, ou pas, de beaucoup de nos artisans. Comme vous j’imagine, j’attends de voir.

Ces discussions ont montré si c’était encore nécessaire que les intérêts industriels et donc économiques au sein de l’UE peuvent être divergents s’agissant des deux plus grandes puissances qui la constituent.

Elles ont aussi rappelé que l’Allemagne décide en partie du prix de vente des électrons fabriqués en France. Beaucoup de nos concitoyens ne le savent pas encore. Ceux qui le comprennent, de plus en plus nombreux à en croire les messages qui tombent en fil ininterrompu sur ma page LinkedIn, jouent parfois une musique anti européenne, voire anti allemande. Rejeter l’UE telle qu’elle a été conçue a toujours existé, surtout depuis Maastricht. Mais une musique anti allemande, c’est franchement nouveau et au fond assez triste.

Enfin, ces discussions rappellent à quel point l’UE est devenue beaucoup trop technocratique. L’énergie l’illustre si bien. Mais qui comprend dans le détail le fonctionnement de notre marché de l’énergie ? Les CpD ajouteront une couche de complexité que les citoyens européens ne comprendront tout simplement pas, ou si peu. Nous voudrions monter les peuples conte l’UE que nous ne nous y prendrions pas autrement.

L’énergie, mais aussi l’immigration, la taxonomie, les réglementations en tous genres changent désormais notre quotidien, fragilisent souvent nos entreprises et divisent les citoyens. Faute d’une UE vraiment démocratique, elle se fissure. Certains d’entre vous souhaiteront tout simplement s’abstraire de tout contrainte ou de toute aide européenne. Les autres comme moi voudront la changer en profondeur. Rares sont ceux pour un statu quo. Pour le dire autrement, que l’on soit européen convaincu ou eurosceptique, l’UE doit se réinventer avant qu’elle ne devienne l’urgence de ses Etats membres ou qu’un nouvel Etat ne lui tourne le dos définitivement, je pense ici à la France.

Le lent processus de fragilisation de l’UE ne devrait pas masquer pour autant celui de l’hexagone, même si l’actualité nous en détourne du regard.

J’ai perçu positivement le déplacement de notre Président au proche Orient. A défaut de sauver la paix, il fait son possible pour tenter d’empêcher une escalade dans la guerre. Il le fait dans l’urgence comme il l’a tant fait depuis son premier mandat. Dans l’urgence, il aura apaisé la colère des gilets jaunes. Dans l’urgence, il nous aura fait traverser la crise du Covid. Dans l’urgence, il aura aussi tenté de raisonner le Président Poutine.

Mais on ne peut pas ne faire que sauter d’une urgence à l’autre. Il faut bien s’attaquer un jour à nos problèmes de fond avant que ceux-ci ne deviennent à leur tour la prochaine urgence. Or des sujets de fond, ils sont de plus en plus nombreux à mettre notre pays sous une tension elle-même de plus en plus grande.

L’éducation, la justice, la santé attendent depuis des décennies d’être complètement revues.

Dans la guerre économique totale que se livre les nations, nous avons perdu notre souveraineté dans de nombreux domaines : l’agriculture, l’alimentaire, l’industrie, la data pour ne citer qu’eux. Nous sommes devenus dépendants des autres sans que les autres dépendent de nous.

Faibles d’une économie qui s’est soviétisée – les dépenses publiques représentent désormais 58% de la richesse nationale produite annuellement (source : Insee) – nous nous appauvrissons un peu plus chaque jour au point qu’un Français sur deux saute au moins un repas par jour et qu’un Français sur trois se retrouve avec moins de 100 Euros sur son compte bancaire le 10 du mois. Un Français sur dix est déjà à découvert à cette date (source : étude Ifop pour MonPetitForfait, mai 2023).

Enfin, nos finances publiques sont sur une trajectoire qui ne sera plus soutenable très longtemps, faisant ainsi sauter les amortisseurs qui maintiennent autant que faire se peut notre paix sociale. Le Projet de Loi Finances 2024 prévoit un déficit de l’Etat pour 2024 de 141Md€, soit 40% de ses recettes fiscales. Le déficit de l’Etat sera en 2024 de 40%, vous avez bien lu.

Quant à l’environnement, no comment, tout a déjà été dit et redit.

Les urgences n’attendent pas. Mais parmi les leçons que nous rappelle déjà le conflit israélo palestinien, c’est que le temps long non plus. Car à trop attendre et à laisser pourrir des situations, le temps long se mue en urgence et avec elle ses catastrophes, parfois même ses horreurs.

L’urgence pour nous tous devient de traiter le temps long.

Martin