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Si les vacances sont propices à l’insouciance, vous m’accorderez j’espère que cette rentrée a été placée sous le feu d’une rare intensité. Nous sommes maintenant dans la beauté des lumières de l’automne, mais les avez-vous seulement remarquées ?
Passés notre adieu à la reine, nos remerciements à Godard et notre au revoir à Federer, je ne doute pas que vous suiviez en ce moment-même la coupe du monde de League of Legend. C’est ce que m’a fait découvrir mon fils aîné. J’ai donc plongé dans ce nouveau monde et ai écouté les « casters » vanter les mérites du « dernier solo kill de Faker en midlane ». La finale du tournoi a été suivie l’année dernière par près de 100 millions de « viewers ». Mercedes, la Société Générale et Spotify sponsorisent cette année l’événement. Il y a une forme de barrière à l’entrée dans la compréhension intime de ce jeu (pardon, de ce business) qui m’a semblé un peu trop haute. Je me suis donc recentré sur l’actualité du porte-monnaie de nos compatriotes. Même TF1 prompte à nous proposer 15 minutes de météo tous les soirs s’appesantit sur l’inflation que nous ressentons tous. Oui oui, il m’est arrivé de regarder le 20 heures sur la première chaîne nationale ces derniers jours, je confesse.
La hausse des prix du magasin au coin de la rue masque maintenant la hausse des températures sur la planète entière.
Et notre pays qui se battait depuis bientôt cinquante ans contre un chômage endémique déflationniste doit se battre désormais contre des forces inflationistes importées qu’il ne maîtrise pas. C’est donc double peine désormais pour nous : chômage et inflation. Tous les économistes en perdent leur latin. La BCE a emboîté le pas de la FED en relevant ses taux au motif ancien qu’une croissance des taux conduit à la décroissance de l’inflation. Espérons qu’elle ait raison alors même que l’inflation chez nous est de nature bien différente de celle de l’autre côté de l’Atlantique. Les Américains ne connaissent pas le chômage. Nous si, et pas qu’un peu. Cela change tout dans les dynamiques de hausse des salaires.
Les indicateurs d’une récession en préparation ou en cours sont déjà nombreux. Sur le plan financier, le CAC 40 a perdu près d’un quart de sa valeur depuis son pic de janvier dernier. Un tiers de la capitalisation du NASDAQ s’est envolée dans le même temps, entraînant avec lui toutes les valeurs de la tech, y compris en Europe. Parlez avec quelques entrepreneurs à Paris dans le secteur en ce moment, la petite musique d’un retour à un EBITDA positif commence à se faire entendre. Sur le plan budgétaire, le PLF de 2023 n’est pas encore voté que ses hypothèses de croissance sont déjà jugées trop optimistes par le Haut Conseil des Finances Publiques. La production industrielle a diminué de 5% en juin 2022 par rapport au même mois l’année dernière, correction faite des effets de calendrier. Près de 300 entreprises essentiellement manufacturières ont demandé l’aide de l’Etat pour faire face à l’explosion de leur facture énergétique. En Allemagne, un industriel sur dix a déjà ralenti sa production (Source : Les Echos). Mais les usines ne s’arrêtent pas seulement parce que leur structure de coût dévisse. Dans l’automobile, c’est le manque de composants qui les oblige à s’arrêter.
Hausse des coûts salariaux et des matières premières, ruptures d’approvisionnement, accroissement des taux d’intérêt, explosion des dépenses énergétiques, ralentissement de la demande des ménages inquiets de savoir s’ils pourront se chauffer cet hiver, nervosité des donneurs d’ordres côté entreprises, tout cela n’annonce rien de bon sur le plan social.
La sagesse de nos anciens nous dicterait que les crises se suivent sans se ressembler et qu’après la pluie, le beau temps.
Je suis entre deux âges. Le jeune Martin partage l’optimisme de beaucoup d’entrepreneurs. Le moins jeune – allez, osons l’écrire, le vieux – a connu les glissades de 2001, 2008, 2009 et 2020. Il devrait se dire que 2022-2023 ne pourrait être qu’une nouvelle ligne sur le tableau noir des années dont la mémoire collective se souviendra et s’appliquer le principe de sagesse dont je parle plus haut. Dans les deux cas, que 2022-2023 ne serait finalement qu’une nouvelle crise avec un début déjà derrière nous et une fin proche.
Mais j’ai quelques raisons de croire que quelque chose de profondément nouveau est à l’œuvre et que le mot « crise » que nous lisons tous les jours dans les journaux n’est pas complètement adapté. Une crise ne dure qu’un temps, mais ce que j’évoque dans les lignes qui suivent s’inscrit dans le temps long.
Au sein de nos frontières, nous voyons en ce moment même notre pays perdre sa souveraineté énergétique. La meilleure des volontés du monde ne permettra pas de faire sortir de terre de nouvelles centrales nucléaires ou de nouveaux terminaux de regazéification. On peut se lamenter, crier au scandale, pester contre nos politiques, rien ne changera la réalité des années qu’il faut pour concevoir, construire et tester des infrastructures énergétiques de premier plan : comptez 15 ans pour une centrale nucléaire et 3 à 5 ans pour un terminal gazier si tout se passe à peu près bien. Nous ne subissons pas seulement une crise énergétique, nous subissons l’affaissement d’un système qui lentement mais sûrement se corrodait et prendra des années à être reconstruit. Les pires des solutions sur le plan environnemental sont maintenant en œuvre pour parer au plus pressé. Vous l’avez lu comme moi, l’Allemagne a relancé ses centrales à charbon. Je discute avec certains industriels en train de réfléchir à lancer leurs centrales de secours…à essence.
Juste à côté de chez nous, c’est tout le modèle économique de notre plus proche voisin qui est en train d’être remis en question. Pardon de le rappeler, mais l’économie allemande repose sur une industrie forte nourrie par un gaz devenu au mieux hors de prix, au pire insuffisant en volume. Le premier fournisseur de l’Allemagne de sa ressource la plus essentielle, la Russie, lui a tourné le dos du jour au lendemain. Sauf surprise, la guerre à nos portes durera encore longtemps et la confiance entre les deux puissances hier alliées mettra autant de temps, sinon plus, à être rétablie.
Enfin, beaucoup plus lointaine mais avec tout autant de conséquences, la stratégie zéro Covid de la Chine a provoqué depuis bientôt trois ans de nombreuses ruptures des chaînes logistiques. Ce qui pouvait s’apparenter à une nouvelle crise passagère s’inscrit désormais dans la durée. Le Vietnam, la Thaïlande ou encore le Cambodge profitent de la décroissance relative des avantages compétitifs de leur colosse de voisin et accélèrent leur industrialisation. Nous, nous réindustrialisons depuis 2016. En d’autres termes, le tectonique des plaques industrielles bouge pour un peu moins de Chine, un peu moins d’Allemagne, et un peu plus du reste du monde.
Comme vous, je regarde éberlué et un peu inquiet la mer Baltique bouillonnante de gaz à sa surface. On en viendrait presque à souhaiter que les câbles sous-marins de données par lesquels passent 98% du trafic de data de la planète ne soient pas eux-mêmes sectionnés « par accident ». Que pouvons-nous y faire, nous agents économiques ? Pas grand-chose si ce n’est donner un coup de main à celles et ceux qui perdent tout sous les bombes.
Mon premier motif d’inquiétude actuel dans un domaine où nous maîtrisons un peu notre destin est notre accès à l’énergie. Qu’elle soit électrique ou gazière, aucun pays développé ne peut vivre dignement sans une énergie abondante et bon marché. Les coupures sont la marque des pays du tiers monde. Le mouvement de réindustrialisation que nous connaissions va prendre du plomb dans l’aile sans cette énergie en même temps que celui de la détresse sociale, lui, grandira.
A l ‘échelle de notre entreprise, nous pouvons nous préparer à ce nouveau monde en création, dessiner quelques scenarii, et avancer. Réduire nos dépenses, digitaliser ce qui peut et doit l’être, revoir notre pricing, toujours et encore optimiser notre trésorerie, revoir notre empreinte industrielle, qu’elle soit interne ou chez nos fournisseurs. Tenter d’identifier les risques systémiques que la Russie et d’autres font peser sur nos sociétés et faire de notre mieux pour en diminuer la portée. Tout cela en diminuant notre impact sur la planète. Et j’en passe.
A l’échelle du pays, l’Allemagne n’a pas attendu la guerre pour se doter d’une stratégie industrielle. Peter Altmeier, Ministre de l’Economie outre Rhin en présentait le contenu en 2019. Nous n’avons pas d’équivalent même si le plan France 2030 en a quelque peu la couleur.
Il serait temps, non ?