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Un petit coup de main

Je ne sais trop quoi penser de l’annonce du dérapage des finances publiques 2023 annoncées ce mois-ci.

Je me garderai avant toute chose de juger ceux qui ont proposé la Loi de Finances 2023 ou encore ceux qui l’ont votée. Je ne suis pas dans le bureau de Bercy pour observer leurs méthodes. Je ne suis pas davantage à l’Assemblée ou au Sénat. Je ne suis entré à l’Elysée qu’une seule fois et c’était par erreur : c’est là une longue anecdote que je vous raconterai peut-être un jour.

Je ne sais trop quoi en penser mais j’observe comme vous que le déficit public s’est élevé à 5,5% en 2023 pour un montant de 154Md€. L’analyse de l’INSEE est ici.

Je n’ai jamais beaucoup aimé cet indicateur de déficit en pourcentage du PIB. Il masque l’effort à fournir pour revenir à un budget équilibré. Avec des recettes publiques de 1453Md€, le déficit public a donc représenté 10,6% des recettes. Ce même ratio était de 8,8% l’année précédente. C’est presque 2 points de perdus en un an. Si par une forme d’heureuse fortune, très hypothétique je vous l’accorde, ces 2 points avaient évolué dans l’autre sens, le bon, le déficit public aurait représenté 7% des recettes, soit 102Md€. Et le fameux 5,5% serait redescendu à 3,6%. Nous serions riches au point que certains d’entre nous y auraient vu une cagnotte tout aussi hypothétique : c’est seulement que le trou aurait été moins gros. Pour le dire autrement, 2 points (1,8 pour être précis), c’est tout à fait significatif même si « 2 » arrive après « 1 » et devance « 3 ». Pour le dire autrement, tout le monde sait compter jusqu’à trois, mais il est peu probable que nos concitoyens saisissent l’ampleur des chiffres évoqués ici. Et nous, avons-nous réellement conscience de la facture que nous laissons à nos enfants ?

Rassurez-vous, je ne me lancerai pas ici dans une diatribe invitant nos gouvernants publics à redresser leurs comptes. Cela fait cinquante ans que cela dure et la tendance longue n’a jamais infléchi. C’est qu’au fond nous le voulons collectivement. Quand rien ne bouge malgré les questionnements, les demandes, les exigences, les manifestations, les cris et les supplications de quelques-uns comme moi, minoritaires donc, il ne faut pas s’étonner de la disparition progressive des hérauts anti-dette qu’évoquait Etienne Lefèbvre dans les Echos le 26 mars dernier. Les déficits sembleraient sans conséquences et l’argent gratuit. Notre dette a tout de même coûté 50Md€ d’intérêts bancaires en 2023, soit le tiers du déficit.

Minoritaire et démocrate, j’accepte mi résigné mi désabusé mais surtout inquiet la sanction du vote qui a décidé d’aller dans une direction budgétaire contraire à mes convictions. L’âge aidant, je tente de m’appliquer la sagesse de Marc-Aurèle et d’accepter les choses que je ne peux pas changer. J’écoute aussi de la musique. Le piano de Chopin s’accorde bien à la note de l’INSEE citée plus haut. Il me faut de la mesure et du calme pour lire l’INSEE de nos jours.

Marc-Aurèle demande aussi à Dieu le courage de changer les choses qu’il peut changer. Comme je crois que l’équilibre économique, social et environnemental de notre destin commun passe d’abord par l’industrie, je me suis tourné ce mois-ci comme à l’accoutumée vers l’actualité de nos usines.

Deux documents ont retenu mon attention ces dernières semaines.

La BPI a édité pour la deuxième année consécutive son observatoire des start-ups, PME et ETI industrielles innovantes. Le document est particulièrement bien fait et bonne nouvelle, les chiffres sont encourageants. Dans un contexte global de baisse des levées de fond tous secteurs confondus, les start-ups industrielles ont levé 4,2Md€ en 2023, en croissance de 11%. 118 nouveaux sites industriels « innovants » ont été inaugurés. Quelques jours après la BPI, le Ministère chargé de l’Industrie et de l’Energie annonçait un solde net positif pour 2023 de 201 ouvertures de sites industriels toutes catégories confondues. C’est 25 de mieux qu’en 2022. Pas de quoi sabler le champagne, mais c’est factuellement positif.

C’est surtout la « Lettre à l’Europe » par Luca de Meo qui a retenu mon attention ce mois-ci. Elle est ici : Luca de Meo, Lettre à l’Europe, mars 2024 – Renault Group. Le document signé du PDG du Groupe Renault fait 20 pages. Il aurait pu faire plus court, nous aurions été plus nombreux à le lire ! J’en retiens trois phrases que je mets ici en parallèle avec l’edito que nous avions écrit Noël dernier suite à mon entretien avec le PDG de Seat et Cupra, Wayne Griffiths.

La première figure en tête du premier chapitre (p.3) : « Pilier de l’économie européenne, l’industrie automobile est menacée par l’offensive des voitures électriques chinoises. »

Evoquant à notre tour le succès mondial de Cupra, nous avions écrit il y a quelques semaines : « Voyez-y d’abord un pari gigantesque réussi : la naissance d’une marque automobile européenne électrique. Vous pourrez aussi y voir un acteur encore modeste à l’échelle de la planète en train de se battre contre des géants asiatiques et américains. Mais il faut aussi y lire la réponse à une industrie en grand danger, la première de toutes sur le sol européen, celle de l’automobile ».

La seconde résume d’un trait la perception par M. de Meo des stratégies économiques de l’UE, des US et de la Chine (p.6): « Les Américains stimulent, les Chinois planifient, les Européens réglementent ». Là, c’est vraiment court, peut-être simpliste penseront certains. Mais je crois cette assertion très juste.

Nous écrivions Noël dernier : « Ces deux phénomènes, explosion des ventes de véhicules chinois en Europe et diminution soudaine des ventes de véhicules occidentaux en Chine sont les fruits d’une politique industrielle chinoise pensée en même temps que d’une politique industrielle européenne impensée ».

Le troisième extrait de la Lettre à l’Europe de M. de Meo que j’ai choisi pour vous est sa toute première recommandation (p.9) : « Définir une stratégie industrielle européenne ».

Nous arrivions à la même conclusion en des termes un peu plus directs : « Il faut drastiquement changer notre politique européenne pour que Cupra et d’autres constructeurs européens puissent s’épanouir. Sinon nos usines disparaîtront et leurs emplois avec elles.»

Rarement je me suis senti autant en phase avec la vision industrielle d’un dirigeant d’une grande entreprise.

Le hasard veut que Wayne Griffiths fut recruté par Luca de Meo quand ce dernier dirigeait Seat. Les deux hommes se connaissent donc très bien. Je ne serais pas surpris qu’ils pensent la même chose de l’Europe. Je ne sais pas. Je ne serais pas surpris non plus que tous les constructeurs automobiles européens pensent la même chose sauf quand ils ont des intérêts en Chine. Demandez à Ola Källenius, PDG de Mercedes-Benz, ce qu’il pense de tout cela. Il vous racontera une histoire un peu différente de celle avancée par le PDG de Renault. Lui pense que nous n’en faisons pas assez pour favoriser la vente de véhicules chinois en Europe. C’était dans les Echos le 13 mars dernier. Près de 20% du capital du groupe allemand est détenu par des actionnaires chinois : ceci explique peut-être cela.

Je ne cesse de le répéter dans la communication de BlueBirds et celle de notre podcast : il nous faut construire une politique industrielle européenne.

Et puis l’établissement d’une telle politique donnerait un petit coup de main à M. Le Maire pour faire passer du rouge au vert les équilibres financiers dont il a la charge.

Martin