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Pour un meilleur financement des startups industrielles
Réindustrialiser la France, c’est se redonner la souveraineté stratégique de produire chez nous ce dont nous avons besoin avec tous les avantages économiques, sociaux et environnementaux que cela procure. Il faut créer des projets industriels, développer, redévelopper des usines en France. Ces projets peuvent être d’origine et de nature différente. Afin d’observer les modalités d’accès à des capitaux qu’ont ses projets pour se financer, nous distinguerons ici deux grandes catégories. D’une part les projets industriels dits « matures » qui prennent le plus souvent la forme de développements de sites existants, de grands projets de nouveaux développements (comme les méga-usines de batteries), et de relocalisations de toutes tailles, et d’autre part les projets portés par des startups industrielles. Ces deux catégories sont-elles égales face au défi du financement ?
Financer les projets d’industriels déjà matures
Les décisions d’investissements pour des projets « matures » sont souvent longues et complexes en raison des montants requis, mais reposent sur des paramètres bien établis. Ces décisions sont prises sur des critères économiques (ROI et autres ratios financiers tels que VAN, TRI, etc..) dont les paramètres de coûts et de revenus sont généralement estimables, et auxquels s’ajoutent d’autres facteurs stratégiques, enjeux géopolitiques, sécurité d’approvisionnement, évolution des marchés et du cadre réglementaire, qui prennent cependant une place de plus en plus importante. On sait donc à quoi s’en tenir : stabilité et prévisibilité du cadre réglementaire et fiscal, main-d’œuvre, lourdeur administrative (et autres irritants ou freins), et évidemment fiscalité attractive et soutiens financiers divers qui viennent influencer le retour sur investissement. Dans toutes ces situations, et ce quel que soit le degré technologique ou d’innovation, ces projets sont le plus souvent portés par des entreprises matures et bénéficient d’un accès à des capitaux importants (fonds propres des entreprises, dette, banques, investisseurs institutionnels, private equity). Attention, loin de moi l’idée de dire qu’il est facile pour ces projets de boucler leur financement, tant les montants en jeu peuvent être colossaux et qu’il existe une forte compétition entre les projets, mais les sources de financement sont connues et accessibles en grand nombre, car les risques sont mieux maîtrisés. L’enjeu pour leur implantation en France, qu’il s’agisse de développement, de relocalisation ou de nouveaux projets réside davantage dans l’attractivité (fiscalité, soutien financier, cadre réglementaire et administratif que nous avons déjà largement développés dans d’autres épisodes) que dans le financement du projet. Autrement dit, quand les conditions économiques sont réunies, le financement se trouve, et les aides gouvernementales généreuses compte tenu de l’ampleur et de la nature stratégique des projets aident, en améliorant les ratios financiers, à « closer les deals ».
Financer les start-ups industrielles
Pour les projets innovants à fort potentiel de croissance portés par les startups industrielles, l’équation n’est pas la même. Certes, comme toutes les startups le financement, et particulièrement à certains stades, est toujours un défi, cela fait partie du modèle et des règles du jeu. Mais les startups industrielles semblent lutter encore davantage dans cette course au financement. Quand on se compare au reste de l’Europe, et même aux États-Unis, c’est un constat qui est toutefois partagé. Ce n’est pas une raison pour s’en satisfaire. Le retard pris par la France en matière industrielle nécessite que l’on fasse mieux, beaucoup mieux.
Depuis 2017, l’État déploie une stratégie de soutien au développement des startups pour créer de nouvelles entreprises technologiques de rang mondial. Cette politique porte fruit : la France compte désormais près de 30 licornes et 20 000 startups. De source gouvernementale, les startups « industrielles » représenteraient environ 12% des startups en France. Parmi ces startups il faut distinguer celles dont les activités visent à améliorer l’outil productif de celle à vocation industrielle directe. En 2022 on comptait environ 1600 startups qui cherchaient à ouvrir leurs premières lignes de production ou leurs premières usines. On tombe donc à 8% du total des startups.
L‘industrialisation, la phase critique des start-ups industrielles
Regardons les phases de développement de ces projets. La partie recherche et développement est généralement supportée par du financement public, qu’il s’agisse d’aide publique pour les startups industrielles (exemple : France Relance), de la recherche issue des Universités, ou des crédits d’impôt pour les entreprises. Lorsque le travail d’innovation a abouti (et que le projet a fait son chemin de croix en passant les freins et embûches, administratifs, réglementaires, foncier, etc), il reste une étape cruciale : financer la phase d’industrialisation. Les entreprises sont alors confrontées à trois types de difficultés :
Le financement bancaire traditionnel, on le sait, n’est pas adapté au modèle des startups et est plutôt destiné à financer, souvent sous forme de dette, les entreprises plus grandes et les projets plus matures. Le cadre réglementaire et la gestion des risques des institutions financières leur permettent difficilement de s’exposer à de tels niveaux de risques en l’absence de garanties et de collatéraux. C’est là qu’interviennent les fonds de capital-risque qui acceptent de supporter ce risque et dont le modèle d’affaires repose justement sur la rémunération de celui-ci. Ce principe s’applique à toutes les startups, tous secteurs confondus. Mais à ce jeu-là, les startups industrielles partent avec plusieurs handicaps sur les autres.
Si la phase de commercialisation est souvent un point tournant dans le financement des startups de la « Tech », la phase d’industrialisation est un point critique additionnel pour les startups industrielles de nature à faire augmenter les risques du point de vue des investisseurs.
Les startups industrielles doivent d’abord développer et produire un prototype, puis une présérie avant de pouvoir enfin envisager l’industrialisation du produit. Cela est non seulement plus complexe techniquement, mais aussi plus long et plus intense en capital que le développement d’une « App » par exemple. Par ailleurs, le développement d’un site de production est soumis à plusieurs normes contraignantes qui allongent les délais d’implantation et de mise en production. Cela reporte également les premiers revenus et demande donc d’absorber des coûts plus importants sur une plus longue période.
A cette complexité s’ajoute souvent le manque d’expérience des fondateurs de ces startups pour les phases d’industrialisation (et également le manque d’expérience des investisseurs pour ces mêmes activités).
En résumé, les projets de startups industrielles demandent des investissements plus importants, sur une plus longue durée, dans un environnement plus complexe et plus risqué. Quatre facteurs qui auront vite fait de décourager les fonds de capital-risque et de les orienter vers des secteurs mieux connus, moins risqués avec un retour sur investissement plus rapide. Les modèles d’affaires des GP’s et des LP’s qui leur allouent des actifs ne sont pas adaptés à cette réalité, ni au niveau des durées plus longues de cycle d’investissement ni au niveau des capex requis.
Heureusement, il y a quelques success-stories. Je pense notamment à des fleurons comme Exotec qui conçoit et fabrique des robots logistiques à Croix près de Lille et qui vient de boucler une levée de fonds de 300 millions. Elle est valorisée à près de deux milliards de dollars seulement 8 ans après sa naissance à Télécom Paris Tech. Ou encore à Ynsect qui a réalisé une levée de fonds de fonds de 200 M€ en 2020 et une série D à 160M€ (dans un contexte plus difficile) pas plus tard que cette semaine. Mais malheureusement, ces exemples sont encore trop rares.
Les faiblesses structurelles du capital-risque privé
Les startups industrielles sont donc globalement sous-financées, surtout en fonds propres, alors qu’elles présentent un grand intérêt stratégique de souveraineté technologique, énergétique, alimentaire et sanitaire. Il est difficile d’avoir un portait clair de la situation, car les périmètres du secteur sont mal définis et on associe souvent les investissements dans les biens et les services industriels. Évitons les batailles de chiffres. Le constant est préoccupant, et connu et partagé par les entrepreneurs et les investisseurs. Selon l’OCDE la part du secteur industriel représente seulement 3 % des investissements en capital-risque.
Cet enjeu structurel de financement est encore plus critique dans le contexte économique actuel. L’inflation et la montée des taux d’intérêt détournent les investisseurs vers d’autres classes d’actifs ou vers des secteurs mieux connus. Les levées de fonds deviennent plus complexes, plus longues et les signes de ralentissements sont nombreux.
Le rôle de l’Etat et l’importance des fonds publics pour les stades plus critiques
Face à cette situation à la fois structurelle et conjoncturelle, l’État semble avoir pris ses responsabilités. Plusieurs programmes et dispositifs ont été mis en place afin que des fonds publics viennent soutenir financièrement les phases les plus critiques du développement des startups industrielles et de la chaine de financement, là où le secteur privé est moins présent.
Dans le prolongement du plan France Relance, France 2030 prévoit une stratégie « startups industrielles » dotée de 2,3 Md€, déployée notamment par BpiFrance, et dont un des principaux axes vis à soutenir financièrement l’industrialisation des startups et des PME. Ces différentes initiatives ont permis la mise en place de plusieurs fonds comme le fonds Sociétés de projets industriels (SPI1, 850M€ et SPI2, 1 Md€), le Fonds national de venture industriel (FNVI – 350M€), Tibi 1, 6 Md€ et Tibi 2 dont les objectifs visent à combler les failles de marché en mobilisant l’investissement des acteurs institutionnels, et dont un volet sera consacré au soutien des startups industrielles.
Certes on pourrait être tenté de discuter de l’efficacité de ces dispositifs, de la pertinence de leurs cibles, ou de l’importance des montants proposés. L’objectif n’est pas ici d’analyser la performance de ces initiatives. Elles ont le mérite d’exister et de proposer un soutien financier significatif, le plus souvent en fonds propres ou quasi-fonds propres, aux startups industrielles. Si on veut soutenir davantage les startups industrielles, il faut aussi que le secteur privé fasse sa part. Le financement public n’est pas illimité et par ailleurs ces fonds publics n’ont pas vocation à intervenir là où le secteur privé pourrait ou devrait intervenir. Il faut donc mettre en place des leviers pour avoir une plus grande participation du secteur privé en capital investissement dans les projets industriels émergeants.
Plusieurs pistes peuvent être regardées. Rappelons-nous les principaux freins rencontrés par une startup industrielle :
Sur ce dernier point, Martin et moi en avons déjà parlé à plusieurs reprises dans des épisodes précédents (épisodes 6 et 7). C’est un fléau dont il faut se débarrasser de manière prioritaire. Il est déjà assez difficile pour les startups industrielles de séduire des investisseurs, il est insupportable d’imaginer les voir se retirer en raison de délais injustifiables, de complexité foncière, ou de recours futiles et interminables d’opposants mal intentionnés. Simplifier le parcours réglementaire et administratif et réduire ces incertitudes, c’est aussi un moyen de dérisquer ces projets pour les investisseurs.
Créer de nouveaux outils de financement privé en capital
Face aux difficultés à trouver du financement, il faut orienter davantage de capital vers le venture industriel en développant un modèle de capital investissement adapté au secteur.
L’épargne des Français a atteint 6 000 Md€ en 2022 (hors immobilier), dont les deux tiers (près de 4 000 Md€ sont très peu rémunérés (dépôts bancaires, assurance-vie et épargne retraite en euros). Leur utilisation comme levier au développement économique reste ignorée et très peu exploitée. Une partie (même infime) pourrait l’être davantage pour soutenir la réindustrialisation et notamment investir dans les startups industrielles.
Pour cela, il faut mettre en place des fonds industriels, à capital patient (c’est-à-dire avec un horizon d’investissement plus long adapté au modèle d’affaires de ce secteur), voire inspirés du modèle evergreen, c’est-à-dire sans date de clôture. En plus d’avoir un modèle mieux adapté, cela permettra également d’attirer davantage d’investisseurs institutionnels et d’investisseurs privés vers ce type d’investissements. Il n’est pas inutile de rappeler que pour les rendements moyen et long termes, le capital-investissement surperforme largement toutes les autres classes d’actifs.
Il y a un besoin réel de bâtir une chaîne de financement complète et robuste pour permettre aux entreprises d’accéder à des capitaux à chaque phase de leur développement, notamment dans les phases plus critiques de prototypage et d’industrialisation. En cela, des fonds d’amorçage ou de démarrage spécialisés doivent être mis en place en conjuguant des fonds publics et des fonds privés (ratio 2:1 ou 3:1) au sein de fonds de fonds dédiés au développement industriel.
Le rôle des grandes entreprises
Les grandes entreprises ont également un rôle à jouer dans le soutien des startups industrielles par un soutien financier en investissant via leur corporate venture capital (CVC). On dénombre près de 800 CVC en France. Dans le secteur du transport électrique et intelligent par exemple (technologies pour véhicules autonomes, batteries, etc) les CVC ont joué un rôle important dans le financement des startups et le développement de ces technologies aux États-Unis (GM Ventures, Toyota Ventures, BMW iVentures, Vovlo Group VC).
Le développement des CVC a une autre vertu. En plus de l’investissement dans les startups industrielles, ils permettent de rapprocher les grandes entreprises des startups et PME industrielles. Car l’accès au financement n’est pas la seule condition à l’émergence et à la réussite de ces startups. Les grandes entreprises (au même titre que certaines ETI ou donneurs d’ordres publics) ont également un rôle à jouer dans l’accompagnement, notamment lors des phases critiques d’industrialisation, pour des rachats (exits stratégiques), ou de donneurs d’ordres en faisant des ces startups des fournisseurs importants. L’histoire fascinante (que l’on voudrait voir plus souvent et que je vous invite à lire) de Coriolis Composites un des leaders mondiaux dans la conception et la fabrication de robots pour la production d’objets en composites s’est construite grâce à la confiance et au soutien d’Airbus lors d’une première commande.
Cela nous amène au dernier point : l’expérience pour les projets d’industrialisation. Il faut apporter davantage d’expertise aux startups industrielles notamment dans leur phase d’industrialisation. L’expérience et l’expertise des Ynsect ou Exotec de ce monde doivent pouvoir être mises à contribution. Le rôle des Business Angels est fondamental. Il l’a été dans le développement des startups du domaine des Techs, il doit l’être tout autant dans le secteur industriel. Mais la France dispose encore de peu de succès de startups industrielles afin de construire sur ce modèle. Enfin, l’expertise doit se développer aussi eu sein des gestionnaires de fonds d’investissement, et pour reprendre l’expression de Martin dans l’épisode 5, il faut convaincre aussi les investisseurs que « l’industrie, c’est sexy ». Ils doivent pouvoir disposer de l’expertise nécessaire pour prendre des décisions d’investissement éclairées dans les secteurs industriels et accompagner leurs entreprises en portefeuille (au même titre que cela se fait dans la santé, dans les biotechs ou medtechs, dans des secteurs pourtant très spécialisés). Dans ce contexte, l’apport de fonds étrangers disposant de cette expertise (en co-investissement avec des fonds français afin de favoriser le transfert d’expertise et limiter le risque de perte de propriété), ou encore des mécanismes fiscaux favorisant l’investissement et l’implication de Business Angel sont des pistes à considérer.
En conclusion, pour réindustrialiser la France et lui rendre ses lettres de noblesse industrielle, il ne s’agit pas de privilégier les projets des startups industrielles au détriment des grands projets de développement, de relocalisations, ou de croissance des sites existants. Tous les projets sont bons à prendre. L’avenir de l’industrie française passera autant par le développement de startups industrielles que par les relocalisations subventionnées ou le développement de mégas projets industriels. Il faut tous les soutenir, de manière différente, mais équivalente. L’IRA a montré la voie pour certaines catégories de projets. Mais malgré un potentiel très important, le nombre de startups industrielles passant de l’innovation à l’industrialisation reste limité en raison notamment des difficultés de financements, jugés trop risqués ou pas assez attractifs par les investisseurs privés français. Une situation qui pourrait inciter des entreprises stratégiques pour la souveraineté technologique et industrielle nationale à se développer à l’étranger. On veut voir plus d’Exotec ou d’Ynsect de développer en France.
L’État a mis en place des dispositifs d’accompagnement et plusieurs fonds, et doit poursuivre dans cette voie, le secteur privé doit suivre. Des dispositifs et incitatifs existent et peuvent être mis en place rapidement afin de faciliter l’accès au capital pour les startups industrielles. Contrairement aux dispositions de l’IRA, cela ne relève pas de l’UE et n’interfère aucunement avec des normes ou dispositions européennes. Nous avons le plein contrôle sur cette question, alors pourquoi attendre ?
Guillaume Caudron