Pour ne rien manquer, abonnez-vous à notre newsletter et recevez tous les mois les dernières actualités Bluebirds et des différents secteurs
Restons connectés
Restons connectés
Pour ne rien manquer, abonnez-vous à notre newsletter et recevez tous les mois les dernières actualités Bluebirds et des différents secteurs
Les réponses de l’Union européenne aux menaces protectionnistes seront-elles suffisantes pour soutenir les efforts de réindustrialisation de la France ?
Les 9 et 10 février derniers, les dirigeants de l’Union européenne ont discuté à Bruxelles des propositions en réponse à l’Inflation Reduction Act américain (IRA), plan de 430 milliards de dollars destiné à soutenir financièrement le développement des industries vertes aux États-Unis.
Si ce plan constitue une avancée encourageante des États-Unis dans la lutte aux changements climatiques, il inquiète fortement, à juste titre, les Européens qui craignent de voir des industries d’avenir s’implanter aux États-Unis, attirées par ces incitations financières, mais aussi pour se plier à de nouvelles exigences protectionnistes américaines. Janvier, mois d’entrée en vigueur de ces dispositions, a été marqué par un florilège d’annonces de nouveaux investissements en sol américain, dans l’industrie automobile notamment (véhicules électriques et batteries), de la part d’entreprises américaines, mais aussi de plusieurs entreprises européennes et asiatiques : Tesla, Panasonic, Ford, Honda, LG, BMW, pour ne citer que ceux-là. Pour ceux qui attendaient de voir les effets réels de l’IRA : la bataille a commencé !
Les nouvelles réalités géopolitiques et un multilatéralisme économique chambranlant créent un terreau fertile à la multiplication d’initiatives teintées d’un nationalisme économique décomplexé. De la part de la Chine, rien de surprenant ni de nouveau, mais aussi de la part du Japon et des États-Unis (Buy American Act, Chips and Science Act, et le Build Back Better dont l’IRA est une des déclinaisons). Ces initiatives ne respectent plus les règles de l’OMC, devenue un gendarme impuissant face à cette fragmentation du commerce mondial.
Dans ce contexte, quelle réponse l’UE doit-elle apporter aux menaces qui s’amplifient pour protéger ses entreprises et sa souveraineté économique, et lutter à armes égales dans cette nouvelle compétition industrielle ?
On peut regretter la position défensive de l’UE ou son manque d’anticipation, prise un peu par surprise, mais les regrets ne nous feront pas avancer. Ne soyons pas naïfs non plus, ne rien faire et prôner comme seule réponse les vertus du libéralisme et du multilatéralisme économique n’est pas une option raisonnable dans le contexte actuel. Négocier des exemptions pour sauver les apparences et obtenir quelques gains marginaux, même s’il ne faut pas l’exclure totalement, constituerait également un recul important.
L’Europe reste un ensemble hétérogène et les positions divergentes de ses membres sur ce sujet rendent l’élaboration d’une réponse commune plus complexe. Le risque d’accoucher de mesures en demi-teintes pour rallier ses membres autour d’un consensus mou est important. Minimalement, la simplification et l’assouplissement des aides d’États semblent acquis, et des fonds existants sont encore disponibles afin d’envisager un soutien financier de la part de l’UE d’une magnitude comparable à celle de l’IRA, évalué à 2% du PIB, soit 350 Mds€. Notamment, les fonds de relance post-Covid (250 milliards) et d’autres fonds de la BEI ont encore des sommes allouées, pas encore dépensées. Il serait surprenant qu’à court terme l’UE ait la capacité de s’entendre ou la volonté d’aller plus loin en ce qui concerne la mise en œuvre de mesures de protection ou l’allocation de montants additionnels. La mise en place d’un fonds de souveraineté semble écarté à court terme, en raison du refus de l’Allemagne, notamment, de souscrire à tout nouvel endettement. Si les sommes disponibles semblent pertinentes à court terme, il reste deux enjeux majeurs: la capacité réelle de l’UE à faire sortir l’argent facilement pour l’investir dans les entreprises, et donner de la prévisibilité aux soutiens proposés. Ce second facteur est essentiel dans les décisions d’investissement des entreprises. L’IRA propose des dispositifs d’aides, comme les crédits d’impôt, sur 10 ans. Les assouplissements temporaires et les soutiens disponibles proposés par l’UE n’offrent pas la même assurance, pour l’instant.
Je reste un pro-européen convaincu. Il est indispensable que l’UE apporte rapidement des réponses communes que l’on souhaite les plus ambitieuses et efficaces possibles. Les conclusions de la rencontre du Conseil des 9 et 10 février derniers réaffirment, en agissant sur plusieurs fronts, cette volonté de renforcer la compétitivité et la productivité de ses entreprises pour maintenir sa souveraineté industrielle, sans oublier (pour une fois !) les PME. Il faut maintenant passer des intentions à l’action. À court terme, les mesures mises sur la table auront, je l’espère, vocation à rassurer et envoyer un signal clair que l’Europe est capable d’offrir un environnement avec des conditions aussi favorables pour dissuader les entreprises de transférer certains de leurs investissements sur le continent nord-américain. Finalement, le pire serait qu’elle échoue dans cette tâche et que les États membres agissent de manière unilatérale, affaiblissant l’unité européenne et limitant à terme notre capacité à faire face aux menaces économiques des grandes puissances mondiales. « Tout seul, on va plus vite, mais ensemble, on va plus loin », dit l’adage. Cela a souvent été la position de la France vis-à-vis de l’Europe. Mais cette volonté d’agir ensemble n’est pas nécessairement la position de tous les membres au sein de l’UE.
Aussi optimiste que l’on puisse être et aussi ambitieuse que soit la réponse européenne, elle n’apportera que des réponses partielles aux défis européens, mais surtout aux défis industriels auxquels la France fait face :
Il est donc clair que ce n’est pas parce qu’on espère fortement une réponse européenne convaincante, que la France ne doit rien faire et adopter une posture attentiste. Encore une fois, il ne faut pas être naïfs, en dépit de cette nécessaire cohésion européenne, la compétition entre ses membres demeure féroce. Et les menaces comme l’IRA ne vient pas l’atténuer.
Pour combler les écarts de compétitivité industrielle entre la France et ses « partenaires » européens, il faut agir maintenant sur les leviers qui sont à notre disposition et sur lesquels nous avons le plein contrôle, tout en respectant, cela va de soi, le marché unique dans tous ses aspects. Les règles européennes, notamment en matière d’aides d’État, sont là pour garantir une concurrence loyale. Et c’est très bien comme ça. À l’inverse, il ne faut pas s’enliser dans les ornières d’une surtransposition des normes européennes. Les limites du terrain de jeu sont connues, utilisons toute sa surface. Au rugby, la plupart des essais sont marqués le long de la ligne de touche, pas au milieu du terrain. Et puis rappelons-nous que récemment, la position de hors-jeu de l’Espagne et du Portugal sur les prix de l’électricité n’a pas été sifflée par l’arbitre et, pour terminer l’analogie, qu’une reprise vidéo serait nécessaire pour savoir si l’Allemagne n’a pas mis le pied en dehors des limites dans l’octroi de plusieurs aides d’État.
La France doit s’attaquer sans délai à ses propres défis. En commençant par exemple par se doter d’une volonté, d’une culture et d’une gouvernance forte pour redonner à la France un véritable avenir industriel, de poursuivre les efforts d’amélioration de notre compétitivité par la réduction des coûts de production, ou encore d’utiliser la demande intérieure comme levier pour soutenir nos industries, pour ne citer que ceux-là. La liste serait est longue et en un sens tant mieux cela nous donne davantage de leviers. Nous ne la développerons pas ici, car si les problèmes sont connus, les solutions pour les traiter sont souvent complexes. Chacun de ces leviers mériterait un chapitre complet. Plusieurs d’entre eux feront d’ailleurs l’objet d’une attention particulière lors de prochains écrits.
D’autres initiatives essentielles à la réalisation de nos ambitions de réindustrialisation vont demander un certain degré de coopération, voire de négociation au sein des instances européennes, notamment dans le domaine énergétique. Comme la prise en compte de l’hydrogène issu de l’électricité nucléaire dans les objectifs de décarbonation, qui semble en bonne voie au moment d’écrire ces lignes, mais aussi et surtout la réforme du marché de l’énergie pour découpler le prix de l’électricité et du gaz qui prive la France de l’avantage qu’elle s’est bâti et qu’elle doit continuer de développer avec son parc nucléaire. Je vous invite à relire les réflexions proposées par Martin la semaine dernière à ce sujet.
J’ai confiance en nos responsables chargés de porter les revendications de la France et défendre ses intérêts au sein de l’Union. Ils ont d’ailleurs été très tôt force de proposition dans l’élaboration des premières orientations de l’Europe face à l’IRA (voir la « Note des autorités françaises sur les contours d’une stratégie « Made in Europe » de décembre dernier). Mais ces négociations, souvent complexes, nécessitent des compromis, prennent du temps, au même titre que les réponses européennes face à l’IRA. Alors, pourquoi attendre ? La France a pris de mauvaises décisions au cours des dernières décennies, elles sont connues et largement documentées, notamment dans l’excellent d’ouvrage de Nicolas Dufourcq sur la désindustrialisation de la France. Inutile de revenir là-dessus. La France connaît ses enjeux, ses faiblesses et ses forces. Alors agissons dès maintenant! Cela permettra de profiter davantage des effets positifs des initiatives européennes à venir. Nous sommes en droit d’attendre de la part de l’UE des réponses fortes, mais nous avons aussi l’obligation de prendre nos responsabilités et de nous prendre en main face au défi de la réindustrialisation.
Guillaume Caudron