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Réindustrialiser la France – épisode 10 – Les ETI, notre avenir industriel 

La force du tissu industriel en Allemagne provient essentiellement des Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI). Les ETI se mettent dans le sillage des grands groupes et constituent des écosystèmes solides et performants, fondés sur une confiance séculaire. 

Une ETI n’est pas encore « une grande » entreprise, mais est déjà plus grande qu’une PMI ou une PME. Un décret de 2008 (n°2008-1354) leur donne une définition. Leur chiffre d’affaires dépasse 50M€, mais n’excède pas 1,5Md€. Je vous épargne ici les autres critères bilantiels. 

Il existe 25 000 ETI en Allemagne, 8 000 en Italie, 5 000 en France. Le secteur manufacturier représente 26% du PIB allemand contre 10% en France. Ce n’est en aucun cas une coïncidence : il n’y aura pas de réindustrialisation du pays sans un accroissement massif du nombre d’ETI dans notre pays. 

Ces ETI sont le plus souvent familiales. Elles grandissent souvent en passant d’une génération à l’autre. C’est là un point essentiel. Si nous souhaitons réindustrialiser le pays, il faut se demander comment faire grandir le nombre d’ETI. Se poser cette question, c’est se demander entre autres comment faciliter leur transmission d’une génération à l’autre. 

La loi Dutreil, un moteur à ETI 

Une loi a déjà fait un bien fou à notre industrie et à l’économie en général, celle dite Loi ou pacte Dutreil du nom du Secrétaire d’État puis ministre des PME, du Commerce, de l’Artisanat dans le gouvernement Raffarin de Jacques Chirac. Ce dispositif mettait fin ou presque à la mort certaine des entreprises familiales au moment de leur transmission. Avant le pacte Dutreil, l’héritier de l’entrepreneur payait environ 35% de droits de succession. Faute de pouvoir, il vendait son entreprise souvent à des capitaux étrangers pour régler la facture qu’il devait à Bercy. (C’est un peu ce qui risque de vous arriver au moment où vous hériterez des biens immobiliers de vos parents. La fiscalité étant ce qu’elle est, vous pourriez être amenés à vendre la maison de votre enfance pour pouvoir régler ce que l’impôt de transmission attend de vous). Depuis la Loi Dutreil, ce taux est passé à 4% environ en contrepartie notamment d’un engagement à conserver les actions héritées. 

Le texte est là : Loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique (1). – Légifrance (legifrance.gouv.fr) 

Les droits de succession des entreprises en Italie et en Allemagne sont proches de zéro. Sans surprise donc, 80% des entreprises restent dans les familles en Allemagne et en Italie. C’est 12% en France. (source : EDHEC Family Business Club). 

M. Dutreil est le premier témoin d’une série de quarante dans le livre de Nicolas Dufourcq « La Désindustrialisation de la France ». J’ai la faiblesse de penser que M. Dufourcq n’a pas classé les témoignages qu’il a rassemblés par ordre d’importance. Mais si M. Dutreil arrive en n°1, c’est a minima une « drôle de coïncidence ». 

Limites et faiblesses du pacte Dutreil 

M. Dutreil a fait bien plus que convaincre les politiques de l’époque, il a commencé à ancrer l’idée selon laquelle le capital peut se cumuler d’une génération à l’autre sous réserve que ce capital travaille à l’investissement et à l’emploi. Renaud Dutreil a peut-être convaincu le Conseil des ministres et l’Assemblée nationale en 2003, mais il n’a pas convaincu tout le monde, loin s’en faut : une partie de l’administration voit encore dans le pacte Dutreil le moteur d’un capitalisme profondément inégalitaire. Qu’ont fait les héritiers des entrepreneurs sinon être bien nés ? 

Le pacte Dutreil fait face à d’autres critiques. Il favoriserait les entreprises familiales et pas les autres.  

Il est par ailleurs souvent perçu comme complexe et exigeant sur le plan administratif pour bénéficier des avantages fiscaux qui lui sont attachés. Une telle difficulté découragerait certains chefs d’entreprise.  Emmanuel Vieillard, PDG de LISI Aerospace et premier témoin des entrepreneurs (encore un drôle de hasard) toujours dans le livre de Nicolas Dufourcq, évoque une autre préoccupation. Le rôle que lui-même joue dans la holding d’animation qu’il a élaborée pour préparer sa succession est ouvert à l’interprétation du contrôleur fiscal. À le lire, une mauvaise interprétation de ce contrôleur et c’est tout le mécanisme mis en place depuis des années qui s’écroulerait. Il ne pourrait plus exiger d’être soumis aux droits de mutation spécifiques aux sociétés familiales. Sa descendance ne pourrait pas couvrir les droits et la société serait irrémédiablement vendue. On comprend donc son inquiétude bien légitime. 

Alors que faire ? 

Ne rien faire ne serait peut-être déjà pas si mal que cela. Ils sont plusieurs à avoir voulu toucher à la Loi Dutreil pour augmenter les taux d’imposition des sociétés familiales. Les gouvernements sous le Président Hollande avaient été tentés et avaient finalement reculé.  

La Loi Dutreil doit être pérennisée, mais elle peut aussi être renforcée. Supprimer toute interprétation humaine des textes irait dans le bon sens. M. Vieillard dormirait probablement un peu mieux et ne se demanderait pas si à chaque visite de Bercy dans ses locaux, le fruit du travail de sa vie ne finirait pas dans des mains étrangères. 

Plus largement, c’est l’esprit même des Inspections (fisc, travail, autres) et des Dreal (Directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement) qui doit être revu. Eux aussi peuvent participer à notre réindustrialisation en travaillant davantage avec les chefs d’entreprises, dans la confiance plutôt que dans la méfiance. 

La création d’un statut d’ETI dans l’Union Européenne 

Résumer la problématique des ETI à la Loi Dutreil serait bien trop restrictif. Le METI (Mouvement des Entreprises de Taille Intermédiaire), fondé en 1995, travaille régulièrement à des propositions pour leur développement.  

La France a créé par la loi le statut d’ETI en 2008. L’enjeu s’est désormais déplacé vers l’Union Européenne. Le METI travaille à la création d’un statut d’ETI dans l’UE. C’est une étape indispensable – la première de toutes – à la création d’un cadre législatif européen adapté à la taille de ces entreprises qui pour l’instant tombent dans le cadre des SMEs (Small and Medium-sized Enterprises).  

Une ETI n’a pas les ressources d’un grand groupe, mais doit pouvoir disposer d’une législation, d’un encadrement et d’aides publiques distinctes de celles des PME et des PMI. 

Tout cela prendra du temps, mais j’aime y croire.  

Martin Videlaine