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Réindustrialiser la France – épisode 7 – Avec ou sans sucre le café ?

Usine et foncier, un couple inséparable

Pour réindustrialiser le pays, il va nous falloir des usines. Pour avoir des usines, il va bien falloir les construire sur des terrains. L’usine et le foncier sont inséparables par nature.

Les problèmes commencent peut-être là.

Prenons l’hypothèse que vous soyez industriels et qu’il vous prenne l’envie de créer une nouvelle usine, par exemple une usine spécialisée en plasturgie. Voilà des années que vous fabriquez des produits en Asie et après une analyse d’opportunité, vous vous laissez convaincre qu’il est temps pour vous de créer une unité en France. Vous vous rapprocherez ainsi de certains de vos marchés et de votre épouse et de vos enfants qui vous voient vous envoler à l’autre bout du monde tous les mois. Vous ne partirez plus qu’une fois toutes les 6 à 8 semaines. Ce sera déjà cela de gagné.

Alors vous vous mettez à chercher sur le territoire de la commune de Saint-Martin et vous appelez le maire pour lui expliquer votre projet. Vous souhaiteriez qu’il vous aide à trouver ce terrain et qu’il puisse dans la foulée vous donner l’autorisation de construire.

Vous avez de la chance, il vous reçoit. Cela n’aurait pas été le cas du maire de la commune d’à côté, Saint-Paul, qui perçoit mal les usines et s’y oppose par principe. Un tel projet est facteur de tout un tas de risques et cela fera nécessairement des mécontents qui ne voteront plus pour lui aux prochaines municipales. On vous avait prévenu, cela aide d’être du coin.

Le maire vous reçoit donc sympathiquement, vous écoute avec attention, « sucre ou pas de sucre dans votre café ?» vous demande-t-il poliment, dit qu’il aimerait bien vous aider, mais qu’il a un souci. Son plan local d’urbanisme (PLU) ne prévoit pas de zone industrielle. Il ne pourra pas vous octroyer de permis à moins de changer le PLU lui-même. Et changer un PLU prend plusieurs mois : il faut une enquête publique et s’appuyer sur un expert parce qu’on n’écrit pas un PLU comme un dessin sur un mur. C’est sérieux. Ce ne sera pas Saint-Martin.

Un peu déçu, vous contactez la maire de Saint-Pierre. C’est une copine du maire de Saint-Martin qu’il vous a recommandé. C’est une jeune femme élue il y a un peu plus de deux ans qui s’est mise en tête de faire venir des industriels de l’autre côté de la départementale. L’autoroute n’est pas très loin, les champs et les tracteurs c’est bien, mais annoncer au conseil municipal qu’il y aura bientôt une usine derrière le bois, « cela en jette ». Une première usine à Saint-Pierre ! s’imagine-t-elle déjà. Elle a tout récemment mis à jour le PLU, reste l’essentiel à faire venir: un projet.

« Sucre ou sans sucre le café ? » vous demande-t-elle à son tour, la voix mi-anxieuse, mi-envieuse. Elle connaît déjà tout de votre projet, mais vous écoute activement. À plusieurs reprises anode dans le bon sens puis conclut. « Je ferai tout ce que je peux pour vous aider ». Vous le voyez bien dans ses yeux, elle est sincère. Elle vous montre un terrain, un demi-hectare, c’est plus que vous ne demandiez. L’agriculteur qui le possède est vendeur, le prix vous semble convenable, tout cela s’emmanche bien.

Mine de rien, en deux rendez-vous, vous avez bien avancé : vous avez trouvé un terrain à un bon prix et la maire vous soutient, le permis de construire ne posera donc pas de problème.

Le lecteur assidu aura remarqué dans cette dernière phrase un joyeux mélange bien français qui ne devrait pas avoir sa place ici : un permis est technique, l’appui d’un maire est politique. Vous n’avez encore rien fait, rien engagé, rien payé, mais vous avez déjà compris que pour un maire, autoriser la cession d’un terrain démontre une forme d’engagement pour qui appose sa signature.

Mme Dupont, maire de Saint-Pierre, vous a rapidement évoqué que Saint-Pierre, Saint-Martin et Saint-Paul font partie d’une communauté de communes, mais au fond, est-ce si important ? Un peu oui, Mme Dupont ne signera pas l’autorisation du permis de construire. Ce n’est pas qu’elle ne veuille pas, c’est qu’elle n’en a pas le pouvoir. Celui-ci revient au Président de la communauté. Ce dernier vous invite à Saint-Tertre pour faire connaissance et mieux appréhender votre projet avant de demander à son équipe d’étudier votre projet.

« Sucre ou sans sucre ? » vous demande-t-il dans son bureau donnant sur la rivière en contrebas. « Euh, un double s’il vous plaît, sans sucre. Merci beaucoup ». Vous êtes venus avec le dossier, l’équipe technique du maire est présente. L’atmosphère se décoince vite, les petits mots sympathiques s’enchaînent les uns après les autres, les premières questions techniques arrivent, vous y répondez sans difficulté.  « Nous allons regarder avec attention, vous avez un joli projet, nous ferons ce que nous pourrons pour vous aider » vous annonce le maire de Saint-Tertre. Vous ne demandez pas d’aide, vous demandez à ce que votre permis de construire soit accordé. Le café est froid, vous n’y avez pas touché.

Trois cafés, quelques heures en réunion à les préparer et à les soutenir, c’est finalement bien peu de choses au regard de l’importance du projet qui vous habite, vous et votre équipe. En revanche les sources de financement de votre projet (banque, autre préteur ou investisseur privé) commencent à s’inquiéter du chemin de croix que vous entreprenez, des délais et finalement de l’issue incertaine du processus.

Si vous aimez le café sucré, peut-être est-il temps de mieux apprécier son amertume en évitant désormais le saccharose. Car des cafés, vous allez en boire !

Les catégories d’autorisations

Il existe en effet cinq grandes catégories d’autorisations et d’approbations réglementaires qui vous attendent:

  • Autorisation d’urbanisme : si le projet nécessite la construction d’un bâtiment ou la modification d’un bâtiment existant, il vous faudra obtenir une autorisation d’urbanisme, comme un permis de construire, un permis d’aménager ou une déclaration préalable, en fonction de la taille et de la nature du projet ;
  • Autorisation environnementale : selon la nature de l’activité de l’usine et les risques environnementaux potentiels associés, il vous faudra vraisemblablement obtenir une autorisation environnementale qui comprend notamment une étude d’impact et une enquête publique. Cette autorisation peut prendre la forme d’une autorisation unique ou de plusieurs autorisations distinctes en fonction des installations présentes sur le site.
  • Autorisation d’exploitation : une fois que l’usine est construite et équipée arrive l’autorisation d’exploitation auprès des autorités compétentes, qui dépendent de la nature de l’activité (par exemple, la préfecture, la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement, autres).
  • Autorisation de déversement : si l’usine produit des effluents liquides, il peut être nécessaire d’obtenir une autorisation de déversement auprès de l’Agence française pour la biodiversité.
  • Autorisations spécifiques : en fonction de la nature de l’activité de l’usine, d’autres autorisations peuvent être nécessaires, comme des autorisations de stockage de produits chimiques, des autorisations de transport de matières dangereuses, autres.

Rassurez-vous, je ne vous écrirai pas dans le présent épisode la liste exhaustive des autorisations que vous rechercheriez pour votre projet d’usine. Déjà que ce sujet est technique et donc un peu ennuyeux, alors de là à vous décrire un process dans le menu détail, j’en serais bien incapable et je sais d’avance que je vous perdrais. À vrai dire, il faudrait être expert du domaine pour écrire cette liste, ce que je ne suis pas. Et puis je m’en voudrais de vous faire peur le premier. D’autres personnes bien plus compétentes que moi en la matière s’en chargeront.

En vérité, pour avoir échangé avec la DREETS de la région de Nantes et plusieurs communes et communautés de communes, l’administration est de plus en plus motrice dans l’accompagnement des projets d’usine. Elle s’organise de mieux en mieux pour faciliter ce parcours du combattant en tentant par exemple de mettre en place des guichets uniques.

Tentons de résumer. La difficulté est triple :

  1. Les procédures sont multiples ;
  2. Ces procédures sont à la charge d’administrations différentes elles-mêmes multiples (c’était l’objet de précédent épisode de notre série) ;
  3. Il y a une part d’inconnue ou de subjectivité liée à deux facteurs :
    • le bord politique ou les bords politiques des personnes qui regarderont votre dossier;
    • et l’avis de la population locale malheureusement parfois surreprésentée par les minorités ayant une fâcheuse tendance à dire « non ».

Alors que faire ?

Simplifier, simplifier, simplifier

Les procédures d’autorisation ont été créées avec une intention louable : protéger les hommes, protéger l’environnement et protéger les installations elles-mêmes en même temps que les habitations et les infrastructures humaines avoisinantes. Tout le monde le sait, l’enfer est pavé de bonnes intentions.  À la question « peut-on simplifier ces procédures ?», j’ai souvent été surpris par la réponse « le sujet n’est pas là, nous nous organisons de mieux en mieux pour aider les entrepreneurs ». Certes, mais mieux s’organiser ne devrait pas exclure le besoin de simplification.

Il faut pourtant se rappeler que les contraintes administratives à l’autorisation de fabriquer votre première pièce en plastique n’ont fait que croître depuis des années (la loi « Climat et Résilience » du 22 août 2021 en est un parfait exemple) en même temps que le problème de notre désindustrialisation grandissait. Le nombre et la complexité de nos procédures d’autorisations ne sont évidemment pas le seul motif à notre désindustrialisation. D’autres facteurs ont davantage joué. Mais ce serait se mentir que d’affirmer qu’elles ont été et sont encore sans conséquence sur les décisions d’investissement industriel sur notre sol. Demandez à Bridor ce qu’il en pense en Ile-et-Vilaine et vous vous laisserez convaincre. C’est finalement le projet d’implantation aux États-Unis qui a été retenu. Sans perdre de vue l’objectif final de ces autorisations, protéger les hommes, l’environnement et les installations humaines, il faudra un jour s’atteler à simplifier notre imbroglio administratif. Vœu pieu peut-être, mais je ne pouvais pas citer le problème que le législateur évite soigneusement depuis toujours : trop compliqué, trop ennuyeux, trop impopulaire.

S’agissant du partage des responsabilités entre État, régions, communautés de communes et communes, je n’y reviendrai pas ici. Nous y avons consacré un épisode complet.

Diminuer la complexité des procédures sans toucher à la complexité des textes

Que pourrions-nous envisager à isopérimètre législatif et réglementaire ?

Une partie de la réponse a déjà été évoquée plus haut : tenter de masquer le nombre d’interlocuteurs réels à l’entrepreneur en créant un guichet unique. Les DREETS et les régions s’emploient de plus en plus à aller dans ce sens.

L’association des communautés de communes fait une proposition phare remise au ministère de l’Économie qui prépare une loi à la réindustrialisation du pays :

Massifier le dispositif des sites « clefs en main » et le transformer en « parcours de montée en disponibilité et en gamme des sites », afin d’aider les collectivités à proposer des implantations industrielles rapides

L’idée est ici de proposer aux entrepreneurs des terrains avec les autorisations associées et purgés des recours éventuels. Seules les autorisations ICPE (Installation Classée pour la Protection de l’Environnement) devraient être encore obtenues pour commencer à construire puis exploiter le site.

Resterait à concaténer un registre national avec tous ces sites prêts à l’emploi et on imagine sans trop de difficulté le résultat. Plutôt que de vous présenter au maire de Saint-Martin, vous auriez contacté le responsable du registre national des terrains clés en main et vous auriez fait votre marché comme vous le faites déjà sur Amazon. Pratique.  Oh bien entendu, la réalité serait un chouia plus compliquée – elle ne vous permettrait notamment pas d’éviter les joies des autorisations ICPE –  mais l’idée est séduisante.

Madame Pécresse, Madame Delga, Monsieur Bertrand et les autres Présidents de région seront-ils d’accord pour injecter dans le même fichier les terrains clés en main de leur région respective ? Il faudrait leur poser la question. Rien ne les empêche de commencer le travail au moment où j’écris ces lignes. Et comme il attend toujours ce travail, on peut sans prendre de risques affirmer qu’il vous faudra encore quelques dizaines de cafés pour aller au bout de votre exercice de lancement d’usine.

Vers une rareté des terrains constructibles

Créer des terrains clés en main et un registre national avec implique qu’il y ait des terrains disponibles. Or ces terrains vont devenir de plus en plus rares malgré les friches industrielles que nous pouvons déjà utiliser.

La loi « Climat et Résilience » acte d’une division par deux du rythme d’artificialisation des sols d’ici 2030 et d’une artificialisation nulle à horizon 2050. Certains décrets de cette loi attendent encore d’être publiés, laissant ainsi de la marge de manœuvre aux collectivités territoriales pour interpréter le texte. Mais il fait peu de doute que cette loi va fortement contraindre les collectivités et les entrepreneurs. Qui dit contrainte, dit empêchement et parfois découragement. Cela commence déjà, certains maires préférant garder leurs « réserves d’artificialisation » pour du logement ou des activités tertiaires. On les comprend.

Notre désindustrialisation a commencé dans la décennie 70. De même que le processus de désindustrialisation s’est écoulé sur plusieurs décennies, le processus de réindustrialisation prendra plusieurs dizaines d’années. 2050, ce n’est pas tout à fait demain à l’échelle industrielle, mais presque. Il suffit d’observer la crispation actuelle sur l’arrêt de la vente de moteurs thermiques en Europe d’ici 2035 pour s’en convaincre.

De même que nos voisins allemands ont modifié le projet de texte relatif aux moteurs thermiques avec pour échéance 2035, je fais ici le pari que nous modifierons un jour le texte qui prévoit l’arrêt pur et simple de l’artificialisation de nos sols d’ici 2050. Ce seront les maires qui en feront les premiers la demande. Pas pour des usines, mais pour des logements.

Les interlocuteurs que nous avons rencontrés avec Guillaume discutent entre eux des possibilités de comptabiliser certains projets locaux d’usine dans les enveloppes d’artificialisation qui relèvent de l’État ou de la région au motif de l’intérêt national ou régional du projet, ou d’appliquer des coefficients en fonction de la nature des projets pour en réduire l’impact. Pour le dire autrement, un joyeux troc de droits à l’artificialisation qui ne dit pas son nom, un marché, commence déjà à germer. Cela ne fera que renforcer les incertitudes des investisseurs quand ils soumettront aux autorités leur projet.

Pour une fois, la France ne fait pas exception. À vrai dire, la loi Climat et Résilience est entre autres le fruit de l’un des objectifs de l’UE : zéro perte nette de surfaces agricoles et de terres naturelles d’ici 2030. Plusieurs pays comme l’Allemagne ont adopté des lois comparables bien avant nous.

Pour les États-Unis en revanche, pas de contrainte fédérale. Les limitations d’artificialisation relèvent des États (ex : la Californie) ou des villes (ex : Portland). Cette absence de limitation nationale illustre encore une stratégie de réindustrialisation du pays radicalement opposée à celle de l’UE. Pour l’instant, ils font la course en tête loin devant nous et l’écart grandit chaque jour. De quoi avoir encore un peu plus mal à la tête et se servir un nouveau café. Avec ou sans sucre, comme vous voulez.

Martin Videlaine