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Réindustrialiser la France – épisode 6 -Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

La France a toujours été et continue d’être un État centralisé, héritage de la Révolution française et du jacobinisme qui désigne aujourd’hui, par abus de langage, une doctrine qui tend à organiser le pouvoir de façon administrative (bureaucratie) et centralisée (centralisation) et à le faire exercer par une élite d’experts (technocratie) qui étendent leur compétence à tous les échelons géographiques et à tous les domaines afin de les rendre uniformes. Ce qui en fait l’adversaire du régionalisme et du fédéralisme.

Depuis les années 80, des évolutions importantes ont été proposées. Plusieurs réformes ou « Actes » de décentralisation (comme s’il s’agissait d’une tragédie) se sont succédé, avec une accélération certaine depuis 10 ans, portée par les Actes 3 et 4. Certains souhaiteraient une plus grande décentralisation, d’autres redoutent qu’une plus grande autonomie vienne à supplanter le pouvoir central. Dans ce contexte, on peut raisonnablement estimer qu’on est arrivé à un équilibre acceptable. Les changements amènent toujours leur lot de perturbations et d’ajustements. Vouloir à nouveau jouer dans les structures et le transfert des compétences n’amènerait probablement que confusions et perturbations additionnelles. Ces optimisations se feront naturellement avec le temps. Il nous semble bien plus constructif à court terme de s’attacher à faire fonctionner plus efficacement l’organisation actuelle. Et à entendre les échos qui remontent du terrain, nous en sommes loin, très loin. L’objectif ici n’est pas d’en faire le procès ou de revenir sur le bien-fondé ou la sincérité des réformes passées et du réel transfert des compétences, mais de déterminer, en regard du sujet qui nous intéresse ici, la réindustrialisation, si nous disposons d’une gouvernance, c’est-à-dire de modes de fonctionnement suffisamment efficaces entre l’État et les échelons territoriaux, afin de porter ce projet, les politiques et les programmes qui le supportent ?

Intéressons-nous à 4 échelons : l’État, la Région, les Intercommunalités, et les Communes.

Il semble y avoir consensus sur le rôle de l’État pour porter ce projet de réindustrialisation qui se concentre sur les fonctions régaliennes, sur la stratégie globale, les politiques nationales (ex : la fiscalité), les sujets nationaux (priorités, stratégies de certaines filières industrielles), les grandes infrastructures nationales (transport, énergie, communications) et… le financement (puisque le transfert des compétences ne semble pas avoir été suivi dans une proportion équivalente par celui des ressources selon le dernier rapport annuel de la Cour des comptes, qu’elle consacre au bilan des différentes réformes ayant touché à l’organisation territoriale depuis 40 ans).

Cette clarté s’accompagne d’une forte volonté politique de réindustrialisation et d’une dynamique soutenue (ex : France 2030). Tout n’est pas encore parfait, mais quand les choses vont bien, il faut avoir l’honnêteté de le dire. Certains points d’amélioration ont cependant été remontés au fil de nos rencontres et de nos interviews. Il ne s’agit pas de proposer une réforme de l’État et de son fonctionnement, mais de mettre en priorité certains ajustements pour faciliter les projets de réindustrialisation :

  • Il demeure une forte complexité au niveau central, qui se traduit, par exemple au niveau de la gouvernance de France 2030 (14 comités + ambassadeurs) et alourdit considérablement le système et les prises de décision. Il faut simplifier, ou avoir le courage de faire des choix sectoriels, voire les deux.
  • Le nombre d’acteurs et d’organismes impliqués demeure très important (associations, organismes de représentations, etc). Ils ont peut-être tous leur légitimité, mais cela est générateur de confusion. Ce constat s’applique également aux opérateurs de l’État (ANCT, Ademe, Banque des Territoires, Bpifrance, Business France, Pôle emploi, Apec, Action Logement, etc) pour ne citer qu’eux, source de complexité pour les entreprises. Cette complexité se retrouve également dans les aides d’État où la multiplicité des acteurs et des programmes rend ces aides peu accessibles, notamment pour les PME.
  • Cela nous amène à un dernier point : les multiples dimensions économiques, sociales et environnementales dans la prise de décisions relatives aux projets industriels appellent à une plus grande coordination et coopération entre les autorités concernées, et en premier chef les ministères. Puisqu’il a été rappelé que la réindustrialisation était une des priorités, sinon la priorité gouvernementale, pourquoi ne pas lui dédier un ministère aux compétences transversales ?

Mais l’État n’est pas omnipotent, il ne peut pas et ne doit pas faire seul. Il doit s’appuyer sur les échelons territoriaux: la région, le département, les intercommunalités et les communes. C’est là qu’on entre dans la grande confusion. Attention, tout ne fonctionne pas mal, mais pour les PME, les ETI et la plupart des grandes entreprises, ces échelons territoriaux sont les principaux interlocuteurs et le partage des compétences entre ces échelons, ainsi que leur capacité à les exercer efficacement génèrent une grande complexité. Les chevauchements, la confusion et le besoin de clarification dans le partage des compétences dénoncés dans des rapports successifs ne semblent pas réglés (OCDE, 2007 – Cour des comptes 2009 et 2023). À cela s’ajoute le nombre, la complexité et la lourdeur des procédures et des normes qu’ils doivent gérer et qui s’empilent par sédimentation.

Prenons par exemple le traitement des « simples » demandes de permis de construire, ou dans le cas des installations classées protection de l’environnement (ICPE), de la multitude de demandes et d’autorisations, ainsi que leurs interminables procédures auprès d’interlocuteurs multiples (Région, DREAL, DDT, DDPP, intercommunalité, commune…). Pour les permis de construire, cela relève des communes, a priori, mais pas toujours, car cela dépend du partage des compétences entre la commune et l’intercommunalité, ou du type d’intercommunalité (associative ou fédérative), voire de la DDT et du Préfet… en cas de recours ou d’arbitrage, ou selon la nature du projet… Pour les ICPE, je vous invite « simplement » à aller voir sur le site expliquant les procédures pour prendre toute la mesure du problème (https://entreprendre.service-public.fr/vosdroits/F33414) et comprendre la réalité des entrepreneurs qui ont l’impression de vivre les 12 travaux d’Astérix. Les procédures sont longues, complexes, avec parfois un sentiment de décisions arbitraires. Ce n’est malheureusement pas qu’un irritant. Les conséquences sont directes sur les projets de réindustrialisation. Cette complexité administrative décourage les entrepreneurs et incite les investisseurs à regarder ailleurs, et les exemples qui nous ont été remontés concernent autant les petits que les grands projets. Et nous n’avons pas encore évoqué ici l’impact de la « culture d’opposition » aux projets industriels et des recours fréquents, parfois abusifs, qui freinent les projets et les empêchent parfois de se financer et de se réaliser. Bref, il y a un immense besoin de clarification et de simplification.

Il n’y a pas de solutions miracles face à cette complexité, mais plusieurs améliorations doivent être considérées :

  • Procéder à une démarche de clarification des compétences entre les échelons et tendre vers une plus grande uniformité sur l’ensemble des territoires;
  • Simplifier, simplifier, simplifier ! Une telle complexité est-elle vraiment nécessaire et gage de respects de normes et de sécurité du projet ? Il faut trouver le juste équilibre entre les exigences et les normes à respecter (sécurité, environnement, etc), leur pertinence et la capacité des administrations à les gérer efficacement. Il y a clairement du « Red Tape » à éliminer;
  • Allouer les ressources nécessaires aux échelons concernés, en quantité et en compétences pour traiter plus efficacement ces dossiers, réduire les délais, et la subjectivité dans les prises de décision.

Le couple « Région – Intercommunalité » et le plus important de l’équation. C’est d’ailleurs sur l’échelon de l’intercommunalité (ou groupe d’intercommunalités intégrant la notion de bassin d’emploi) que s’appuie à juste titre le programme « Territoires d’industrie », la stratégie de reconquête industrielle par les territoires portée par l’ANCT (146 territoires, 500 intercommunalités, 2Mds pour l’accompagnement). Cet échelon a un rôle fondamental à jouer notamment pour mobiliser les élus locaux et régionaux, gérer les dimensions foncières des projets industriels (un enjeu clé que nous voulons aborder spécifiquement dans un prochain épisode), développer et attirer les compétences nécessaires à la réalisation de ces projets, développer les infrastructures locales et régionales de manière coordonnée. Les success stories reposent souvent sur la qualité de la relation entre la région et les l’intercommunalités, leur vision (prioriser les projets et les secteurs), la coopération, et sur leur volonté commune à faire aboutir les projets. Cela permet d’accompagner les entreprises au travers des complexités administratives mentionnées plus haut. « Quand on veut, on peut » nous a-t-on mentionné à plusieurs reprises, avec une certaine résignation face aux difficultés administratives. Cela dépend non seulement de la volonté des individus en responsabilité, mais aussi de leurs compétences dans la gestion de tels projets. Et à ce titre, on observe une certaine disparité au sein des territoires.

Les communes ont désormais très peu de pouvoir, mais il n’en demeure pas moins qu’elles ont une influence dans la prise de décision et la concrétisation des projets. Ces écosystèmes de proximité ont un pouvoir non négligeable de facilitation et d’attractivité…ou de nuisance. Cela se traduit par la gestion des permis de construire dans certains cas, par l’accueil réservé au projet (efficience administrative, coordination et dialogue constructif et efficace avec les parties prenantes, courage politique dans la prise de décisions) et par leur capacité à rendre leurs territoires attractifs (emplois du conjoint, école des enfants, infrastructures locales, offre culturelle, etc.) qui pèsent dans les décisions d’implantation. Encore là, la qualité de la relation avec l’intercommunalité est essentielle. Pour les plus petites communes, le soutien de l’intercommunalité ou de la région est un atout important dans l’attractivité des territoires, la rétention ou le développement des industries.

En conclusion, les interviews réalisées à ce stade nous ont permis de dresser quelques grands constats. En premier lieu, il y a la nécessité de clarifier les responsabilités et de renforcer la coopération et la coordination au sein de chacun des échelons, mais aussi et surtout entre les échelons (État – Région / Département – Intercommunalité – Communes). C’est avant tout une question de volonté, car ce sont rarement les structures le problème, mais plutôt la capacité des parties prenantes à fonctionner de manière efficace au sein de celles-ci. Cela suppose aussi de sortir la « politique » des politiques industrielles et de la gestion des projets industriels. Cela est vrai autant au niveau de l’État pour maintenir un cap en matière de politique industrielle (et éviter les tergiversations que nous avons connues sur le nucléaire par exemple), qu’au niveau des Régions et des intercommunalités pour que les clivages politiques ne nuisent pas à la coopération.

Enfin, il faut mettre les choses en perspective, les lourdeurs et les complexités administratives, aussi décourageantes soient-elles ne constituent pas les premiers critères de décisions d’investissements et de réalisation des projets industriels, surtout pour les plus grands projets. Les considérations stratégiques (marché, approvisionnement) et financières restent dominantes. Cependant, nous n’avons que peu de contrôle ou de marge de manœuvre sur celles-ci. Il est toujours possible et souhaitable de réduire le coût du travail, les impôts de production ou d’augmenter les aides, mais rappelons que ces éléments ont un impact sur le financement de notre modèle social ou sur notre dette. Alors que cette lourdeur et cette complexité administrative sont tout simplement inutiles et coûteuses, et elles nous appartiennent. Elles entretiennent une image très négative de la France et nuisent à son attractivité. Le projet de réindustrialisation dont la France a besoin sera difficile à réaliser si nous n’adressons pas cet enjeu rapidement.

Guillaume Caudron