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C’était il y a un mois, autant dire un siècle. Nous célébrions la nouvelle année et regardions l’avenir avec l’optimisme de celles et ceux qui ont un peu bu parce que si l’on ne boit pas de champagne le 31 décembre quand le boit-on ? Les skieurs chanceux avaient eu de la neige en quantité exceptionnelle et avaient pu profiter du soleil. L’année commençait comme à chaque fois, belle.
Que le réveil est brutal. Je suspectais dans cette même lettre il y a un mois que la France était en récession. Réponse de l’INSEE : – 0,1% de PIB sur le T4 2024. L’INSEE prévoit un retour à la croissance de 0,2% au T1 et T2 2025. J’y crois peu tant l’ambiance autour de moi est grise.
Depuis 2000, le pays a été en décroissance pendant deux trimestres consécutifs à trois reprises : en 2008 dans la foulée de la chute de Lehman Brothers, en 2011-2012 lors de la crise de la dette souveraine et en 2020 lors de la pandémie. Si mon relatif pessimisme s’avère juste, ce que nous saurons en avril, nous serions entrés dans une période inédite. Ce n’est pas tous les jours que les temps sont comparables à 2008, 2011 et 2020. Mais que se passe-t-il pour que 2025 commence si sombrement ?
La prise de fonction de Donald Trump est évidemment l’événement à retenir ces dernières semaines mais il serait injuste de le rendre coupable de notre mal de tête hivernal. Il vient tout juste de s’asseoir dans le bureau ovale et ses premiers décrets n’ont pas encore eu le temps de porter leur effet. En revanche, le nouveau Président des Etats-Unis nous renvoie une image plus nette de ce que nous sommes et de la direction qu’ont prise l’Europe et la France avec elle. Le moins que l’on puisse dire, c’est que nous faisons fausse route sur le plan économique et social. Ce n’est pas moi qui le dis même si je n’en pense pas moins. Il fallait vivre loin de l’hexagone pour ne pas avoir entendu Florent Menegaux (Michelin), Bernard Arnault (LVMH), Patrick Martin (MEDEF) ou encore Eric Trappier (Dassault Aviation) s’étouffer devant le projet de budget et plus généralement sur le décalage désormais abyssal entre l’Assemblée Nationale et les entreprises en France. On retrouve de telles abysses entre la France et l’Allemagne d’une part et entre l’Europe et le reste du monde d’autre part.
La machine à désir
Dans le tourbillon des interventions de ces derniers jours, je retiens d’abord celle du Président de Michelin. Il faisait le diagnostic froid de la perte d’attractivité et de compétitivité du pays devant la commission sénatoriale dédiée au secteur automobile. Nous en avons évidemment parlé lors de notre webinar avec David Cousquer Président de Trendeo et Guillaume Caudron, indépendant, ancien Chef de Cabinet du Ministre des Finances du Québec et co-auteur avec moi de Réindustrialiser. Pour préparer ce webinar, David avait reconstitué les investissements réalisés dans le secteur automobile en Europe depuis 2020. Les voici plus bas. Vous remarquerez le vide de la France. C’est un effondrement auquel nous assistons.
Si la parole d’un capitaine d’industrie privée comme celle de M. Menegaux vous paraît suspicieuse, écoutez donc Nicolas Dufourcq PDG de la BPI sur le plateau de M. Pujadas le 31 janvier dernier. Voici ce qu’il dit en conclusion de son intervention : « Investir est une question de désir. La machine à désir, cela s’entretient. Or le débat public depuis la dissolution, c’est une machine à planter le désir français ».
Comment caractériser la période dans laquelle nous entrons autrement que par une allégorie amoureuse en train de mener au divorce entre politique et économie ?
Le passage à la nouvelle année révèle d’abord la période que nous sommes en train de quitter. Guillaume et moi avons tenté de la résumer en quatre mots dans notre ouvrage commun : idéologie, aveuglement, abandon et dépendance. Idéologie de regarder le monde tel que nous souhaiterions qu’il soit et non pas tel qu’il est. Aveuglement de ne pas voir le monde changer. Nous n’avons pas vu venir la Chine. Nous refusons maintenant de voir que les Etats-Unis agissent contre nous dès qu’ils le peuvent. Cela a débuté bien avant la Présidence de M. Trump. Abandon de notre économie parce que nous avons oublié que c’est elle qui crée la richesse et finance notre système social. Enfin, dépendance tous azimuts parce que nous jouissions de la paix sans envisager la guerre.
Ces quatre mots préparent ce qui nous attend : le retour au réel.
Quand on a vécu dans les nuages pendant des décennies, le retour au réel ne promet rien de super enthousiasmant. Peu importe que nous soyons en croissance au T1 2025 comme le prévoit l’INSEE ou que nous ayons été en décroissance au T4 2024. Tous ces chiffres sont faibles et seront durablement faibles sans un changement de modèle. Car ne nous y trompons pas, le retour du réel impliquera des changements profonds. Si nous ne les entreprenons pas de notre propre volonté, d’autres s’en chargeront pour nous : les marchés du financement de la dette publique, la Commission européenne, la BCE, le FMI et enfin et surtout, la rue.
Ce retour au réel n’a pas vraiment débuté, c’est seulement que nous commençons à mieux le percevoir. Le budget qui vient d’être voté prolonge pour l’instant la trajectoire aussi irréelle qu’irresponsable de ces dernières décennies : taxations, dépenses et dette publiques en croissance, qualité de services publics en décroissance. Il y a tout de même motif à espérer. Des pays comme le Portugal ou l’Espagne ont bien réussi leur mue. Nos amis ibériques ne sont pas l’Argentine ni les Etats-Unis, c’est bien qu’il y a un chemin à l’européenne aussi pour nous.
Du côté d’Anvers
Si le retour au réel n’a pas vraiment débuté en France, il faut cependant souligner que la Commission européenne commence elle à se réveiller. Mieux vaut tard que jamais, cela presse.
Luc Chatel, Président de la Plateforme Automobile, rappelait la semaine dernière que c’est tout le secteur automobile européen qui est en grand danger, pas seulement la France comme vu plus haut. L’UE menace de leur infliger cette année une amende de 15Md€ pour ne pas avoir respecté leurs obligations de baisse des émissions des véhicules vendus. Pour respecter la réglementation européenne, il faudrait pour cela qu’un peu moins d’un quart des véhicules commercialisés en Europe soient électriques. Nous sommes à 12%. Les constructeurs seraient-ils responsables du manque d’attrait des conducteurs pour les VE ? Evidemment que non. Devant la bronca du secteur, l’UE a lancé ce mois-ci un « dialogue stratégique » avec les constructeurs automobiles européens.
Ce dialogue stratégique est en fait un bras de fer entre la réalité des constructeurs et la pensée hors sol de l’UE. Il est un bon test sur la volonté ou pas de celle-ci de changer de trajectoire. Il existe de multiples moyens pour tout à la fois avancer dans la décarbonation du parc automobile européen et protéger les emplois et le savoir-faire qui sont attachés à leur fabrication. L’UE voudra-t-elle vraiment explorer les options qui s’offrent à elle ? Qui vivra verra.
Alexandre Montay, Secrétaire Général du METI, partageait le 20 janvier les propositions des autorités françaises pour l’agenda européen de simplification réglementaire et administrative. Parmi elles figurait la création d’un statut des Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI) au niveau européen. Il permettrait aux ETI de ne plus être soumises aux obligations des Grands Groupes mais seulement à celles caractérisant leur taille. Le texte complet est ici. Voilà qui simplifierait grandement la vie de nos entreprises.
Ce paquet de propositions fait partie d’un long train envoyé en janvier depuis Paris vers Bruxelles. Je ne suis pas complètement certain que ce train sera bien accueilli à sa gare de destination. Le Président de la République est en froid avec la Présidente de la Commission européenne depuis que le traité du Mercosur a été signé sans l’accord de la France. Il faut s’imaginer la fraîche ambiance qui doit régner au sein du Conseil Européen et plus particulièrement entre Mme Von der Leyen et M. Macron. Cela n’aide pas à réchauffer le climat des affaires en Europe et en France en particulier.
Vous serez peut-être rassuré de savoir que la Commission européenne a édité ce mois-ci « The competitiveness compass ». Perdue dans le brouhaha français, cette boussole est passée sous les radars des media.
Une boussole donne la direction. J’aurais personnellement préféré un GPS, cela nous aurait précisé aussi notre position de départ. Le nouveau « compas » de la Commission nous donne 3 objectifs : retrouver le chemin de l’innovation (i), accroître la compétitivité de l’Europe tout en décarbonant (ii), et enfin améliorer notre sécurité d’approvisionnement (iii). Cette boussole n’est qu’un cadrage. Elle a surtout un mérite : elle existe. Mais à comparer la boussole européenne avec l’IRA américain, on prend peur. La première vous indique le Nord, et encore. Le second engage 400Md$ depuis deux ans. On en sourirait si ce n’était pas aussi dramatique. Avec l’IRA, les Etats-Unis sont devenus un aspirateur à projets industriels.
M. Trump ne s’intéressera pas à un papier en forme de boussole. Il préfère les deals. Il regardera donc peut-être davantage le Clean Industrial Deal censé faire redémarrer l’industrie européenne en mal d’exportations vers la Chine et d’importation de gaz russe. Ce document sera déterminant dans la volonté nouvelle de l’Europe de reprendre une place centrale en matière d’innovation et de compétitivité. Il sera rendu public le 26 février prochain. Après avoir écouté Stéphane Séjourné nouveau Commissaire à l’Industrie il y a quelques jours sur France Inter lors de l’une de ses rares sorties publiques, je n’ai rien entendu qui puisse être à la mesure des défis de l’Europe face à la Chine et aux US. Attendons le 26, nous verrons bien.
Mme Von der Leyen sera ce jour-là à Anvers avec les PDG de toute l’Europe ayant signé la Déclaration d’Anvers. Ils étaient un peu moins de 100 le jour de la signature il y a un an. Ils sont désormais 1300. Cette Déclaration demandait l’établissement en urgence d’une stratégie industrielle européenne. J’avais aimé l’initiative. J’avais aimé le texte. J’avais signé. Je serai donc en Belgique le 26 février avec ma copine Ursula et plusieurs chefs de Gouvernements. Quelques PDG triés sur le volet s’adresseront à elle en public. Allez savoir pourquoi, je n’ai pas été choisi. La légèreté de mes derniers mots n’enlève rien au respect que j’ai envers la fonction de Présidente de la Commission européenne, encore moins envers la personne qui en porte la charge. Elle n’enlève rien non plus à mon impatience teintée de colère.
L’hiver n’est pas tout à fait terminé et vous l’avez compris, je doute que le printemps chassera d’un coup de vent les nuages qui se sont accumulés sur notre économie et la société française. Je suis comme vous, je n’ai pas de baguette magique. Mais j’ai deux ou trois choses dans mes poches :
« Rien n’est perdu à qui se lève quand tous se couchent. » concluait si bien Mathieu Laine dans sa dernière chronique dans les Echos.
Je suis debout, comme vous. Restons-le ! N’allez surtout pas vous coucher ! Le retour au réel, c’est vous tenir éveillé !
Martin